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[Flash Info Chimie] #27 Des macro-assemblages de bases azotés

En chimie prébiotique, sujet qui me passionne, il y a plusieurs grandes questions qui se posent : l’accumulation de matière organique, l’auto-réplication, l’homochiralité, etc… Aucune n’a de réponses définitives, mais toutes sont des domaines de recherche enthousiasmant. Dans cet article publié par le Journal of American Chemical Society, N.V. Hud et son équipe se sont intéressés à la synthèse et aux structures formées par des molécules potentiellement pro-biotiques, précurseurs de l’ARN.

L’ARN, c’est une sorte de polymère, composé de nucléosides reliés entre eux. Il en existe 4 différents, qui vont s’arranger dans un ordre bien précis, qui constitue un code génétique. (Presque) comme l’ADN. (ci-dessous, les 4 nucléosides)

Sauf que ces nucléosides sont déjà des espèces chimiques assez compliquées, composés d’un « sucre », et d’une « base azotée ».

ribofuranose

ribofuranose

 

Si on arrive à peu près à imaginer comment l’un et l’autre peuvent se former, il faut encore qu’ils se lient entre eux : c’est le travail qu’à essayé de mené L.E. Orgel et son équipe dans les années 70, n’arrivant, hélas, à former que de l’adénosine.

Dans cette publication, les auteurs ont proposé une autre base azotée, appelée TAP (2,4,5 TriAminoPyrimidine), connue pour sa possible formation prébiotique et sa grande réactivité.

En faisant réagir le ribose et la TAP, dans des conditions conformes  à la « Terre prébiotique », les chimistes ont effectivement obtenus les nucléosides attendus, qu’ils ont appelés TARC (on va garder cet acronyme nous aussi !).

synthesis of TARC

Synthèse du nucléoside TARC. Conditions opératoires : Simplement mélangés dans de l’eau pendant quelques jours, puis le mélange est séché à 35 °C pendant 24 heures, puis à nouveau dissout dans de l’eau, pendant quelques jours, puis séché, etc… Une dizaine de fois.

Ce qui est, pour moi, vraiment intéressant, c’est qu’ils ont ensuite mis ce nucléoside (en bleu sur la figure suivante) en présence d’une autre base azotée (en rouge, sur la figure suivante), connue pour être sans doute une « ancêtre » des bases modernes, et ont constaté un auto-assemblage de l’ensemble, sous forme de filaments constitués en réalité d’une hélice moléculaire :

filamentsCes micro-structures parfaitement organisées sont intéressantes, car elles démontrent encore une fois, si cela était encore nécessaire, que de simples nucléosides peuvent s’assembler en des structures variés.

[ Dans les organismes vivants actuels, chaque type de molécules remplit une fonction : les lipides servent pour les parois, les protéines pour des structures diverses, depuis des enzymes permettant les réactions chimiques, jusqu’aux filaments permettant des transports intra-cellulaires, les sucres servent comme carburant, mais aussi pour la reconnaissance cellulaire, et la constitution de membranes, fibres rigides (comme par exemple la chitine, la cellulose,…), et bien sûr l’ADN et l’ARN permettant de conserver le code génétique.

On imagine souvent que les premiers organismes ne fonctionneraient qu’avec de l’ARN. Pour soutenir cette affirmation, il faut donc imaginer que contrairement aux organismes actuels, toutes les fonctions vitales soient assurées par cette seule biomolécules. On sait que l’ARN peut conserver le code génétique, comme par exemple dans les virus à ARN (Hépatite A, VIH, etc…). Il peut aussi remplir le rôle de certaines enzymes, et même sans doute de s’auto-répliquer. Cet article vient compléter le tableau en montrant, entre autre, qu’il permet aussi d’assurer des structures microscopiques, elles aussi indispensables à la vie.]

 

« Spontaneous Prebiotic Formation of a β‐Ribofuranoside That Self-Assembles with a Complementary Heterocycle » M.C. Chen et al., J. Am. Chem. Soc. 2014, ASAP

 

 

Il n’y a pas d’effets non-thermiques des micro-ondes

Les micro-ondes sont montrés du doigt dans plusieurs domaines de notre vie quotidienne. On dit parfois qu’il ne faut pas réchauffer le lait de bébé au micro-onde, parce que ces ondes le rendent mauvais, ou encore que le wifi, et le téléphone portable sont des ondes cancérigènes, etc… La liste est assez longue, allez sur des sites poubelles comme danger-sante.org (le pire que j’ai trouvé, en quelques instants, est ) pour avoir une idée de tout ce qu’on peut leur reprocher.

Bon. certains travaux récents de recherches en chimie organique peuvent nous aider à y voir un peu plus clair. Il ne s’agit pas de travaux en recherche médicale, il est vrai, mais je pense que cela peut donner à réfléchir aussi sur l’utilisation quotidienne de ce type d’onde.

Depuis une vingtaine d’année, les chimistes organiciens (qui travaillent sur les composés du vivant, contenant principalement carbone, oxygène, hydrogène, azote) se sont aperçus que les micro-ondes, les mêmes que ceux de nos fours et nos portables, étaient très efficaces pour chauffer les mélanges réactionnels, et ainsi permettre des transformations chimiques intéressantes, et souvent beaucoup plus rapidement et efficacement qu’avec un chauffage classique.

En clair, de nombreux exemples de réactions chimiques très lentes avec un chauffage conventionnel, ont été rendus possibles, efficaces, et rapides grâce à ce mode de chauffage particulier. L’explication de cette efficacité des micro-ondes a été abordés de diverses manières, et globalement, deux effets ont été mis en avant :

Tout d’abord, l’effet thermique. Les micro-ondes ne chauffent pas par conduction thermique et convection, c’est-à-dire depuis les surfaces en contact du récipient en contact avec la source de chaleur vers le centre, grâce à l’agitation. Ils chauffent par rayonnement, ce qui permet dans ce cas un chauffage extrêmement rapide, et uniforme, de tout le mélange réactionnel.

microwave heating

A gauche, un tube contenant des réactifs, chauffés par micro-onde. On voit que tout le contenant est chaud (en rouge plus ou moins foncé). A droite, un chauffage traditionnel : le coeur du tube est froid. (source)

D’autres effets thermiques pourraient exister, moins conventionnels : l’idée la plus représentative de ces effets, c’est que les micro-ondes ne stimulent pas de la même manière toutes les molécules, et pourraient chauffer « sélectivement » certains réactifs ou catalyseurs, ce qui pourrait induire une augmentation de la vitesse de réaction, ou même des réactions différentes.

Et puis il y a les effets non-thermiques. Il est admis que l’énergie véhiculée par les ondes ‘micro-ondes’ est trop faible pour pouvoir induire des ruptures dans les liaisons chimiques

[Il faut ici distinguer énergie globale de la source de l’onde, qui correspond à la puissance du générateur multipliée (800 W pour un four micro-onde moyen) par le temps de fonctionnement, et l’énergie véhiculée par chaque « photon » de l’onde. Dans le cas d’une réaction chimique, c’est l’énergie par photon qui compte, et il faut généralement des énergies correspondant à des ultraviolets, c’est à dire 100000 fois plus importante que celle des micro-ondes].

Cependant, des hypothèses ont été émises sur la stabilisation d’intermédiaires chimiques [En particulier les intermédiaires dont la polarité est importante], ou d »‘états de transition », ce qui correspond à abaisser la barrière énergétique à franchir pour que la réaction fonctionne. Si on abaisse cette barrière, alors l’apport énergétique par le chauffage peut être moindre, et les temps de réaction sont diminués, ou, si plusieurs réactions simultanées sont possibles, celles dont les intermédiaires ou états de transitions sont les plus stabilisés sont favorisées. [Si vous souhaitez plus de précision ici, n’hésitez pas à me les demander en commentaires…]

En résumé, ce mode de chauffage non-conventionnel permettrait non seulement d’augmenter la vitesse de réaction, voire de rendre possible certaines d’entre elles, mais permettrait également d’obtenir des espèces chimiques différentes qu’avec un chauffage « classique ». J’ai entendu lors de ma thèse une maître de conférence raconter ainsi que le lactose du lait subissait des transformations différentes dans un micro-onde que dans une casserole, et c’est ce qui expliquerait pourquoi le lait, dans ce cas, serait moins digeste.

Ceci dit, certains chimistes contestent ces effets extraordinaires… La dernière publication de O.C. Kappe et de ses collègues leur donne raison. Dans le numéro du 21 janvier 2013 du journal prestigieux (pour les chimistes) Angewandte Chemie (International Edition), ceux-ci mettent à mal les ardents défenseurs des effets non-thermiques. Reprenant les résultats les plus marquants publiés sur le sujet, ils ont montré qu’il n’y avait aucune différence de réactivité entre les différents mode de chauffage. Les effets thermiques non conventionnels, qui pourtant se basent sur des arguments scientifiquement pertinents, n’ont pas été observés, pas plus que les effets non-thermiques qui semblaient ouvrir la voie à de nouvelles perspectives en synthèse organique, mais dont les principes théoriques restaient trop fragiles.

Alors, la faute à qui, à quoi ? aux chimistes trop passionnés, trop heureux de résultats réellement extraordinaires. Et surtout à l’utilisation de capteurs de température, comment dire… absurdes ? Effectivement, ce sont des capteurs thermiques qui mesurent la température de l’EXTERIEUR du récipient. Si on regarde à nouveau le profil de température de la figure précédente, on voit que cela n’est pas du tout pertinent, puisqu’il s’agit de l’endroit du réacteur le plus froid ! En réalité, lorsque les chercheurs affirmaient qu’un chauffage de 100°C aux micro-ondes était plus efficace qu’un chauffage de 100°C conventionnel, ils se trompaient ! le mélange réactionnel était sans aucun doute beaucoup plus chaud !

Le mérite de Kappe et coll. a été, et est toujours de proposer des contre-expériences rigoureuses, permettant de reproduire les mêmes conditions expérimentales de température, pression, temps de réaction pour le chauffage conventionnel et pour le chauffage aux micro-ondes. Ce qui n’était pas gagné, compte tenu de ses spécificités (chauffage très rapide, gradient de température différent dans le réacteur,…)

Cela ne signifie en aucun cas la fin de l’utilisation des micro-ondes en chimie organique : ce mode de chauffage a de nombreux avantages, et en particulier d’être plus économe en énergie (car les temps de réaction sont considérablement réduits), et de ne pas nécessiter de solvant. Quasiment la panacée en terme de ‘Chimie verte’ ! Par contre, en terme de nocivité du rayonnement micro-onde, les médecins et chercheurs en biologie pourront se concentrer uniquement sur un effet thermique des micro-ondes, et laisser de côté la formation de molécules potentiellement nocives.

Et puisque c’est comme ça, je vais manger la bonne pâte de coing de mon beau-père, obtenu par chauffage non conventionnel, et qui est non toxique, et même délicieuse ! (sauf quand il ne la passe pas suffisamment finement au moulin…)

 

Sources :

http://brsmblog.com/?p=1756

‘Microwave Effects in Organic Synthesis: Myth or reality?’ O.C. Kappe et al., Angew. Chem. Int. Ed. 2013, 52, 1088-1094

Microwaves in organic synthesis. Thermal and non-thermal microwave effects‘ A. De la Hoz, Chem. Soc. Rev. 2005, 34, 164-178

Voyage au pays des matières grasses : les acides gras (2)

Maintenant qu’on y voit un peu plus clair sur les acides gras, leurs structures et la réactivité des acides gras saturés (voir première partie), voyons comment se comportent les acides gras insaturés. Ceux-ci se distinguent des premiers par la présence, je le rappelle, d’une ou plusieurs doubles liaisons. Comme j’ai pu l’évoquer précédemment, l’énergie nécessaire pour modifier une double liaison est beaucoup plus faible que pour casser une simple. Et cela permet de multiplier les réactions possibles.

Le chimiste, en laboratoire, va pouvoir engager un acide gras dans tout un tas de réaction, permettant d’accéder à une grande variété de nouveaux composés. Prenons par exemple un acide gras  » oméga-3  » :

réactivité acide gras insaturé

Les chimistes avertis auront reconnus :

  • En 1 et 2 : une époxydation suivi d’une hydroxylation
  • En 3 : une hydrogénation permettant d’obtenir l’acide gras saturé correspondant
  • En 4 : une coupure oxydante : dans ce cas, la suite de réaction permet non seulement de couper la double liaison, mais aussi la liaison simple restante…
  • En 5 : une hydratation (addition d’une molécule d’eau, tout simplement)
  • En 6 : Plus compliqué, avec un certain type de réactif, une réaction de type ‘Diels-Alder
  • Etc…

[Note de la rédaction : liste absolument non exhaustive : par exemple, la plupart des atomes d’oxygène qui sont additionnés sur la double liaison pourraient être remplacés par des azotes, soufres, et beaucoup d’autres éléments, ou molécules…Je ne parle pas non plus des additions radicalaires, ni des métathèses, ni encore de toute la chimie organo-métallique que l’on pourrait imaginer, ou de l’activation de la liaison C-H du carbone adjacent…)

Et le point de vue du biochimiste ? et les réactions in vivo ?

Les machines chimiques que sont les protéines sont souvent capables de rendre possible des réactions chimiques où les liaisons sont très difficiles à rompre. Cependant, les lois de la chimie sont les mêmes partout, et ce sont avant tout les liaisons « fragiles » qui vont pouvoir être modifiées par les organismes. Cela semble se vérifier avec les acides gras insaturés.

Effectivement, si les acides gras saturés semblent ne « servir » au corps humain qu’en tant que constituant des parois cellulaires, et comme réserve d’énergie (voir le billet précédent), les acides gras insaturés ont des rôles supplémentaires.

Tout commence, pour la plupart des mammifères, avec deux acides gras, un oméga-3, l’acide α-linolénique, un oméga-6, l’acide linoléique, qui sont dits essentiels, car non fabriqués par le corps.

acide linolénique

 

Acide linoléique

Les doubles liaisons servent à ‘activer’ les liaisons voisines, c’est-à-dire à augmenter leur réactivité, et cela permet la synthèse d’autres acides gras, comme par exemple acide arachidonique.

acide arachidonique

Ces acides poly-insaturés peuvent agir directement comme messager cellulaire, en particulier lors des processus d’inflammation. La présence des doubles liaisons est sans aucun doute à l’origine de la reconnaissance de ces molécules par leurs récepteurs. Mais ce n’est pas tout : ils sont à l’origine d’une classe importante de molécules du vivant : les eicosanoïdes. Si ce nom ne vous dit rien, celui de « prostaglandine » vous parle sans doute plus. Cette grande classe de composés ont des rôles très variés dans l’organisme, depuis l’agrégation plaquettaire, la fièvre, jusqu’aux contractions utérines lors d’un accouchement.

La réactivité des doubles liaisons, à la fois « riches » en électrons et faciles à rompre, permet leur modification par de nombreuses enzymes, permettant d’atteindre des composés à la structure variée. Un exemple (non exhaustif !) est donné sur wikipédia : L’acide arachidonique est modifiée en un premier composé (la prostaglandine H2) (le mécanisme est déjà relativement complexe, avec addition de dioxygène, migrations de doubles liaisons,… mais tout peut s’expliquer a priori par de simples considérations de liaisons qui se fond et défont, en fonction de leur énergie, accessibilité, …), qui est transformé en d’autres prostaglandines, thromboxanes, et prostacyclines.

Prostanoid_synthesis

 

Alors à la fin de cet exposé, la question qui me reste sur le bout du clavier, est : pourquoi diable les acides gras saturés sont plus nocifs pour la santé que les acides gras insaturés ?

Il me semble, et cela n’est que mon avis qui devrait être vérifié, que le problème réside dans l’accumulation de ces espèces chimiques : Les acides gras saturés sont nécessaires dans notre organismes, et c’est leur excès qui pose un problème de santé. Lorsque tous les besoins sont satisfaits, c’est uniquement sous la forme de graisse que sont stockés ces molécules. Dans le cas des acides gras insaturés, leur utilité est multiple, et ils sont en permanence utilisés pour produire d’autres composés essentiels à notre corps. Leur accumulation paraît (« me paraît » devrais-je dire) plus improbable, ces acides gras profitant de diverses voies métaboliques pour être consommés par l’organisme.

C’est pas tout ça, mais ça m’a donné bien faim d’écrire tout cela. M’en vais manger une tartine de beurre (63 % de matières grasse saturées, bof bof…) avec du Nutella dessus (20 % d’huile de palme, constituée de 100 % de matières grasses saturées, re-bof…). Et c’est pas grave, pour équilibrer, je compléterais avec une salade-vinaigrette à l’huile de colza (97% d’acides gras insaturés) et à l’huile d’olive (85 % d’insaturés). Bon appétit bien sûr !

>La chimie organique pour les nuls (et pour les réticents)… Partie 2

>Allez, après une première pose de quelques mois déjà, je relance la machine, en espérant être plus convaincant cette fois ci. (Pour le premier volet, voir là)

Suite aux remarques d’Alex, celui de la bouilloire électrique, de l’Iphone 4 et de GeoGebra, il faut revenir sur un fondamental : la nature de la chimie. « La chimie est une science expérimentale ». Ah bon, parce qu’il  existe des sciences qui ne le sont pas ?
Nul doute que toutes les sciences le sont, mais pas comme la chimie.
Lorsque la fois précédente je vous ai présenté une réaction entre de l’ethanol, et le iodo-ethane, je vous ai parlé comme les chimistes parlent entre eux : les électrons, ils aiment bien l’oxygène, puis ensuite ils sont trop nombreux, alors ils partent, etc… Où est la logique ? Soit on va voir vraiment du côté de la mécanique quantique, (et encore !!), soit il s’agit d’une interprétation ad hoc d’une réaction chimique qui, effectivement, marche comme ça (Je veux dire par là que, par exemple, l’on peut mettre en évidence l’existence (pendant un temps très court) des différentes molécules intermédiaires). Ce qui valide cette vision, c’est que la réaction présentée marche très bien avec d’autres composés, et surtout à chaque fois que l’on peut reproduire le petit « raisonnement » : l’oxygène est « électro-attracteur », donc il va attirer à lui les électrons qui constituent la liaison Carbone-Oxygène, d’où la suite,… (je vous remets le schéma, ça sera plus simple à suivre…)

Une réaction qui marche avec 50 expériences différentes ? Alors on lui trouve une explication, on lui donne un nom, (Williamson), et, basé sur les « modèles » expérimentaux, on met au point de nouvelles réactions, qui apporteront leurs lots de nouveaux modèles, …
[Pour les amateurs un peu plus éclairés, un exemple frappant est celui des réactions compétitives, quand A peut donner B, ou C, ou D… Chacunes de ces espèces (B, C, D pouvant être formée suivant que l’on considère le modèle 1, 2, ou 3 (« contrôle thermodynamique », « contrôle stérique », contrôle « orbitalaire »…) La prédominance d’un produit sur les autres, nous donne rétrospectivement quel est le modèle qui s’applique le mieux, sans forcément qu’on puisse réellement le prévoir…]

Je me souviendrais toujours d’une conversation entre un professeur d’université, le reconnu Marco C., expliquant à son thésard comment « bidouiller » les paramètres d’une modélisation pourtant basée sur des calculs de mécanique quantique appliquée aux molécules, pour que cela donne le « bon » résultat, c’est-à-dire le résultat donné par l’expérience…

C’est un peu court, certes, mais j’espère éclairant pour les scientifiques rigoureux qui perdent leur latin en abordant cette merveilleuse « science » qu’est la chimie organique. J’attends vos réactions scandalisées !

>La chimie organique pour les nuls (et pour les réticents)…

>Ca fait des mois que je pense à faire quelque chose sur la chimie organique, qui a occupé au moins 5 ans de ma vie à plein temps…Alors, il faut bien que je me lance. La chimie organique, c’est chiant, c’est une suite de réaction à apprendre par coeur, c’est fait par des chimistes aux blagues fumeuses, qui s’amusent à fabriquer du GHB, du LSD, ou des explosifs dès qu’ils ont 5 minutes.[Pour avoir fait ma thèse avec eux, en ayant déjà deux enfants, donc forcément dans une dynamique profondément différente, j’en ai bavé] . Mais j’y peux rien, la chimie organique, ça m’a plu, ça me plaît. Et puis moi, les réactions, je les ai jamais beaucoup apprises…
Parce qu’en fait, la chimie orga, ça peut se comprendre. Oui oui, on peut comprendre, réfléchir et pas seulement apprendre une grande liste de réaction.(Si, pour le fun, cliquez sur le lien, pour voir ça, c’est trop drôle quand on peut prendre suffisamment de recul…). Et je vais essayer de vous le prouver.

D’abord, une petite question vocabulaire : durant ce qui va suivre, je vais faire preuve d’anthropomorphisme poussé. (Comme les autres chimistes qui n’en n’ont pas toujours conscience) : Tels électrons vont attaquer cet atome, qui est en manque. Tel autre atome a trop d’électrons, donc il s’en débarrasse, etc…

Maintenant, simplement, et rapidement, les bases.

  • Les liaisons entre les atomes au sein d’une molécule sont constitués de 2 électrons qui ne sont plus localisé autour d’un seul des 2 atomes, mais localisé entre les deux atomes. [Pour les puristes, la fonction d’onde qui décrit l’électron n’est plus une « orbitale atomique » (solution de l’hamiltonien pour 1 atome), mais une « orbitale moléculaire », combinaison linéaire d’orbitale atomique)]
  • Ces liaisons peuvent être polarisées : Il n’y a aucune raison que ces électrons entre les 2 atomes soient, en moyenne, pile au milieu. Si les 2 atomes sont différents, ou ont un environnement différents, ils vont plus ou moins attirer les électrons de la liaison, créant un déséquilibre dans la liaison (un des 2 atomes va ainsi être « appauvri » en électron, l’autre « enrichi »). [il est facile de comprendre les règles qui permettent de prévoir la polarisation des liaisons, on verra sans doute des exemples par la suite]
  • Certains atomes gardent des électrons pour eux, sous forme de groupe de 2, appelés doublets non liants : ces électrons ne servent pas à faire des nouvelles liaisons, mais sont suffisamment peu liés au noyau pour pouvoir interagir avec le reste du milieu (avec d’autres molécules par exemple)
  • Le nombre de liaisons que fait un atome en condition normale est assez figé : 4 pour le carbone, 3 pour l’azote, 2 pour l’oxygène, 1 pour l’hydrogène
  •  Lors d’une réaction chimique, ce sont les électrons des liaisons, ou des doublets non liants, qui vont « attaquer » des atomes de l’autre réactif.
Bon, on va s’arrêter là pour l’instant. Un exemple tout d’abord, et en image !
Bon, on va faire la traduction (il faut imaginer un carbone lié à 2 hydrogène là où vous voyez un angle dans la molécule). 
La première molécule, c’est de l’éthanol, et un carbone est lié à un oxygène, qui a 2 doublets non liants (les traits de part et d’autre du « O »). Cet oxygène, est, comme toujours, avide d’électron, et récupère en grande partie les électrons de la liaison avec le carbone. Il est donc super riche en électron, et ceux-ci se sentant un peu à l’étroit, vont attaquer un autre atome, qui est beaucoup plus pauvre : le carbone relié à un atome d’iode de l’autre molécule ! Oui, parce que cet iode, lui aussi récupère les électrons de la liaison avec son voisin, qui se retrouve appauvri ! Alors, ni une ni deux, pif paf pouf, voilà l’oxygène qui s’est lié au carbone de la seconde molécule, l’iode s’est barré avec les électrons de liaison. on obtient les 2 produits de la première ligne.
Mais je vous ai dit déjà que l’oxygène voulait plein d’électrons. Et le voilà chargé +, parce qu’il les partage avec trop d’atomes !! Pas de problème, l’hydrogène, il s’en fout de ne plus en avoir, des électrons, alors il se retrouve H+, tout nu, et on obtient de l’éther ! (pour l’histoire, c’est la synthèse deWilliamson, 1850)

Là, on va se la jouer interactif… Dites moi si je continue, ou si je suis en train de vous confirmer que la chimie orga, c’est pas pour vous…

>Pourquoi ne faut-il pas laisser sa bière au soleil, ou la revanche du « skunky thiol » !

>La chimie, ça pollue, ça empoisonne, ça détruit la planète. Mais surtout, ça pue. Pour une fois, (et pour une fois seulement), je vais donner raison à ces détracteurs: La chimie, ça pue. Surtout quand on laisse une bière au soleil.

Alors là, il faut que je sois honnête. M’étant réellement mis à la bière que récemment, (préférant pour les apéros des suspensions colloïdales contenant eau, alcool et anisole), je n’ai jamais subi cette bière qui a tourné, qui sent vraiment mauvais… (envoyez moi en commentaires vos récits !) Par contre, perdu dans des articles de recherche en chimie organique, je suis tombé là dessus : la bière, trop longtemps au soleil, prend un goût, une odeur assez épouvantable. Mais qui est responsable de cette infamie ?
On lui a donné un nom, à ce terroriste, ce Jack l’éventreur de la détente au soleil, il s’appelle le « Skunky Thiol ». Oui, le Thiol Puant. Car il faut l’appeler par son nom.

Ici, je me dois de vous rappeler quelques notions de base. Ce qu’est un thiol tout d’abord.

Les thiols sont une famille de composés organiques (entendez par « organique » des molécules essentiellement constitués de carbone, d’hydrogène, d’oxygène, d’azote, et à l’occasion de phosphore, soufre, silicium), qui présentent un enchaînement d’atome précis, à savoir Carbone-Soufre-Hydrogène (C-SH). Oui parce qu’en chimie organique, on classe les molécules par famille, et non par masse, ou par nombre d’atome… Bref, il y a la famille des alcools, des acides carboxyliques, des amines, etc…
Revenons aux thiols. Cette famille n’a pas bonne réputation. Et oui, tous les thiols puent. c’est ainsi que la cystéine, un acide aminé contenant ce fameux assemblage C-S-H, est responsable de l’odeur d’oeuf pourri…

Mais ce fameux « skunky » thiol, qu’a t-il de particulier ? Tout simplement c’est la molécule la plus odorante pour l’homme qu’on connaisse… un milliardième de gramme dans un litre, et cela devient imbuvable… un gramme, et c’est environ un millier de piscines olympiques contaminées …

En fait, certains constituants issus du houblon, les isohumolones, qui donne en partie le goût amer à la bière, peuvent se dégrader en présence de lumière. Certains rayonnements, dans l’ultra-violet, excitent ces molécules, qui se coupent, en plusieurs morceaux, et, au grès des recombinaisons chimiques ce malodorant  3-méthylbut-2-ène-1-thiol est produit…
Préconisation des auteurs de l’article scientifique* en question (et la mienne) : la bière doit être consommée tout de suite !! Joyeux dimanche au soleil !

Source : Burns et al. Chem. Eur. J 2001, 7, 4553-4561

* J’exagère un peu…