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la télomérase : l’inhiber contre les cancers, l’activer contre le vieillissement ? (1)

Il y a quelques temps déjà, j’avais écrit deux billets sur les télomères, la télomérase, et l’opportunité de l’inhiber pour lutter contre les cellules cancéreuses (voir ici et ). S’il fallait résumer en quelques mots, on pourrait dire que :

  • les télomères sont les extrémités des chromosomes : ils jouent le rôle de protecteur du code génétique. Mais à chaque division cellulaire, ils rétrécissent un peu, jusqu’à atteindre une taille critique, qui bloque toute nouvelle division des cellules (elles entrent alors en « sénescence »), ou qui provoque le suicide programmé de la cellule (appelé apoptose)
  • Dans certaines cellules, un complexe protéinique appelé la télomérase, a pour rôle de maintenir, ou de rétablir la taille des télomères. La télomérase n’est pas présente dans la quasi totalité de nos cellules : seules nos cellules souches, ainsi que certaines cellules du système immunitaire (les lymphocytes T en particulier)) sont concernées.
  • Par contre, la télomérase est sur-exprimée dans 80 – 90 % des cellules cancéreuses, et permet leur immortalisation : elles peuvent alors se diviser à l’infini, sans que leur « horloge biologique » ne marque la fin de leur activité…

La télomérase apparaît donc à la croisée des chemins : son absence est la cause du vieillissement de nos cellules, et donc, in fine, de notre organisme, sa présence est source d’immortalisation des cellules tumorales… Il n’en fallait pas tant pour que les scientifiques cherchent soit à l’inhiber, soit à l’activer.

Contre les cancers : la télomérase, objectif à abattre !

Inhiber la télomérase, c’est, pour 90 % des cancers, rendre les cellules malignes à nouveau mortelles. Ce qui signifie que la tumeur va vieillir, puis… mourir, ou arrêter de se développer. Encore faut-il que l’organisme en ait le temps.C’est la raison pour laquelle les inhibiteurs de la télomérase sont très généralement testés en combinaison avec d’autres anticancéreux : aux uns de tuer le maximum de cellules malignes, à l’autre d’empêcher les restantes de se développer à l’infini.

Actuellement, plusieurs inhibiteurs sont en cours d’évaluation. Le plus avancé dans les tests cliniques est l’Imetelstat, actuellement en phases i et II seul, ou en combinaison avec d’autres anti-cancéreux. Il s’agit d’un oligonucléotide (c’est-à-dire un petit brin d’ADN modifié, en gros) : il va être pris en charge par la télomérase à la place du vrai télomère, et bloquer la machine.

Dans la sous-unité hTERT de la télomérase, l'imetelstat va se lier à la partie qui reconnaît le brin du télomère, et ainsi empêcher son élongation.

Dans la sous-unité hTERT de la télomérase, l’imetelstat va se lier à la partie qui reconnaît le brin du télomère, et ainsi empêcher son élongation.

Un autre inhibiteur est aussi développé, en phase pré-clinique actuellement, et donne des résultats intéressant : le BIBR1532. Il s’agit non pas d’un oligonucléotide, mais d’une « petite molécule ». Son mode d’action n’est pas très clair, même si lui aussi va prendre la place du brin télomérique.

BIBR1532

BIBR1532

La télomérase : un appât pour l’immunothérapie

Puisque les cellules cancéreuses sont (presque) les seules à produire ces protéines, pourquoi ne pas s’en servir comme d’un marqueur pour cellules malignes ? C’est la base des immunothérapies basées sur la télomérase.

En effet, le problème des cellules cancéreuses, c’est qu’elles sont encore moins particulières que les cellules normales : tout se passe comme si elles « s’indifférenciaient« … Et c’est bien là le problème ! Cela permet la contamination des organes voisins, et l’apparition de métastases : les cellules cancéreuses voyagent dans la circulation sanguine incognito avant d’essaimer dans un poumon, un os, un cerveau… La télomérase pourrait bien être ce marqueur, qui permet de distinguer une cellule maligne d’une cellule saine. Et une fois qu’on a un marqueur, on peut le cibler efficacement par immunothérapie : pour cela, on peut produire des vaccins qui vont sensibiliser le système immunitaire contre cette cible. Et ça aussi, ça marche : Trois vaccins (GV1001, Vx-001 et GRNVAC) sont actuellement en phase clinique II ou III contre des cancers variés (mélanome, cancer du pancréas, de la prostate…).

Alors, une cible en or ?

Le ciblage de la télomérase suscite toujours, 30 ans après sa découverte, beaucoup d’enthousiasme. Sans doute à raison : dans les années qui viennent, la mise sur le marché probable de l’imelstat et des vaccins anti-télomérase va venir renforcer l’arsenal thérapeutique de la lutte anti-cancer. Leur sélectivité, liée à l’absence de télomérase dans la plupart des cellules saines est particulièrement intéressante, et on peut raisonnablement estimer qu’ils permettront de sauver des vies.

Cependant, il ne faut pas oublier que la télomérase est présente dans 80 – 90 % des cancers, et qu’il existe des mécanismes alternatifs d’élongation des télomères utilisés par les autres, qui permettent de se passer de ce complexe de protéine. Ces thérapies anti-télomérase pourront peut-être être utile dans un grand nombre de cas, mais des résistances surviendront, nécessairement.

Par ailleurs, l’efficacité de ces traitements est limité par deux éléments :

  • Si le cancer en est déjà à un stade avancé, il est probable que les télomères aient été déjà très allongés, beaucoup plus que les cellules saines. Dans ce cas, les inhibiteurs de la télomérase arrivent trop tard : il faudra de très (trop) nombreuses divisions cellulaires avant que la tumeur cesse de croître…
  • Les immunothérapies marchent très bien… Lorsque le système immunitaire n’est pas trop affaibli : or c’est souvent le cas, lorsque le cancer est avancé.

On revient, comme souvent, à l’idée que les cancers, quelque soit leur traitement, doivent être traités le plus précocement possible… D’où l’intérêt de se faire dépister ! (mais correctement, hein ! je ne vous ferais pas encore un lien vers mon billet « Dépistons, piège à c***« )

 

À Suivre : l’activation de la télomérase : le graal de la lutte contre le vieillissement ?

 

Pour en savoir plus :

 

Les anti-cancéreux aussi ont leurs drones !

Les molécules anti-cancéreuses sont de véritables bombes. Je n’en connais pas une seule qui ne soit pas hautement toxique pour le reste de l’organisme. Disons que ces médicaments tuent tout, mais un peu plus les cellules cancéreuses que les cellules normales.

Les cellules cancéreuses : des cellules ENCORE PLUS comme toutes les autres !

Cellule d'un cancer du poumon (source : )

Cellule d’un cancer du poumon (source : Wellcome Images )

Il semble ainsi évident que l’avenir des chimiothérapies porte sur la sélectivité des cibles : un bon anticancéreux reconnaît les cellules cancéreuses, et ne s’attaque qu’à elles. Le problème, c’est que cela reste sacrément difficile : la cancérogénèse (formation des premières cellules cancéreuses) est justement un processus d’indifférenciation des cellules.

Je m’explique. Dans le corps, chaque cellule est spécialisée. Une dans le sein, pour fournir du lait. L’autre dans le biceps, pour permettre la contraction des muscles. Une  est un neurone dans le cerveau, l’autre un macrophage dans le sang. Si toutes ces cellules ont le même patrimoine génétique, chacune passe sous silence les gènes qui n’ont pas d’intérêt pour leurs fonctions. [Cela passe souvent par la méthylation de l’ADN: sur les bases « cytosine », un groupement « méthyl » est ajouté (voir la notice wikipédia).] Le problème des cellules cancéreuses, c’est qu’elles se « dé-spécialisent » ! Au début il s’agit de cellules de poumon, par exemple, qui perdent peu à peu leurs  caractères et particularités, et une fois passées dans la circulation sanguine, elles peuvent former une nouvelle tumeur sur un autre organe, qui n’y verra que du feu. (C’est ce qui est tristement connu sous le nom de métastase).

Alors, comment agir sélectivement sur les cellules cancéreuses ?

Il faut le reconnaître : pour l’instant, la très grande majorité des anti-cancéreux ne font pas de distinction. Ils agissent au coeur de la machine cellulaire, souvent en altérant l’ADN, jusqu’à le rendre « illisible » et provoquer ainsi la mort des cellules malignes. La survie des cellules saines est due à la présence de protéines régulatrices et réparatrices de l’ADN, qui permettent à peu près de sauvegarder l’essentiel. Les cellules mutantes ont perdu cette capacité (en fait, elles n’auraient tout simplement pas pu se transformer en cellules cancéreuses si elles avaient gardé ces protéines régulatrices), et se retrouvent plus vulnérables.

Heureusement, il y a parfois des moyens d’être plus sélectif : des marqueurs, des protéines un peu plus spécifiques que l’on peut cibler. Des gènes très peu exprimés peuvent l’être beaucoup plus dans certaines cellules cancéreuses. Parfois même, ce sont des protéines mutantes qui se retrouvent de manière constante dans certains cancers.

La télomérase est un exemple de protéine normalement très peu exprimée dans les celllules normales, et sur-exprimée . Cette protéine est quasi absente des cellules normales, et sur-exprimée dans plus de 60 % des cancers, ce qui en fait une excellente cible…Que l’on arrive pas à atteindre. J’en parle en détail dans ces billets.

Mais parfois ça marche de façon spectaculaire ! L’imatinib (glivec) est un des quelques exemples de success story à la sauce tumorale. Les cellules cancéreuses responsables des leucémies myéloïdes chroniques (LMC) comportent (quasi)-systématiquement une mutation appelée « Chromosome de philadelphie ». En gros les chromosomes 9 et 22 s’échange un morceau d’ADN, et cela a pour conséquence la création d’une nouvelle protéine « chimérique », composé d’un morceau de la protéine BCR (du chromosome 22) et d’un morceau de la protéine ABL (du chromosome 9). Cette protéine a la propriété d’activer la transcription du code génétique, sans aucune régulation. D’où un développement anarchique, et donc,  cancer. Mais en conséquence, cette protéine est une cible toute indiquée, puisqu’elle n’est présente QUE dans les cellules cancéreuses ET dans TOUTES les cellules cancéreuses. L’imatinib va inhiber cette protéine, et ainsi neutraliser totalement ces cellules. Les résultats sont spectaculaires : les LMC sont passées du statut de maladie mortelle, au statut, la plupart du temps de « maladie chronique ». La médiane de survie était inférieure à 5 ans (la moitié des malades mourraient avant). A partir de 1998, l’année d’arrivée du glivec sur le marché, elle a augmenté jusqu’à 25 ans de nos jours (source). CQFD !

Imatinib

Imatinib

Une autre idée qui est développée depuis quelques années, consiste à fabriquer des anticorps monoclonaux, sélectifs des cellules cancéreuses. Il s’agit de sélectionner des marqueurs spécifiques de certaines tumeurs, et de faire produire des anticorps à leur encontre par un animal à qui on les aurait inoculé. C’est un peu plus compliqué que ça (voir la notice Wikipédia), mais finalement, c’est un procédé assez voisin de l’utilisation de « sérum » pour guérir ou prévenir d’une infection virale ou bactérienne (voir la notice Sérothérapie ).

Une modélisation d'un anticorps (uniquement là pour faire joli)

Une modélisation d’un anticorps (uniquement là pour faire joli)

Et utiliser des drones ?

drone

Bon, l’expression est un tout petit peu trompeuse. Disons des bombardiers autonomes et sélectifs. L’idée est différente que pour les exemples précédents : ce ne sont pas les molécules actives qui sont particulièrement sélectives des cellules cancéreuses, mais leur transporteur. Cela permet de recycler les bonnes vieilles bombes, très efficaces, mais aux dommages collatéraux un peu trop importants d’habitude… Mais quel(s) transporteurs ? Et comment les rendre spécifiques des cellules mutantes ?

Les scientifiques ont imaginé plusieurs solutions, des plus classiques aux plus sophistiquées… Passons en quelques unes en revue.

Il y a … la bombe nucléaire

Pourquoi se contenter de produire des anticorps contre les cellules cancéreuses, quand on peut leur faire transporter, en plus, des bombes radioactives ? Effectivement, l’immunothérapie (l’utilisation d’anticorps monoclonaux contre les cellules cancéreuses) marche plutôt bien, mais c’est loin d’être parfait : en particulier, une fois les cellules agrégées aux anticorps, le système immunitaire du malade est très sollicité pour digérer le tout, et achever la destruction de la tumeur. Si ce système immunitaire est défaillant, cela marche beaucoup moins bien… D’où la merveilleuse idée de greffer un atome radioactif à ces anticorps : ils vont se fixer aux cellules cancéreuses, et les bombarder de particules α, détruisant irrémédiablement la tumeur. (Pour plus de précisions, on pourra voir « quand les grands du nucléaires soignent les cancers« ) Quand je vous parlais de bombe nucléaire, c’était au sens propre !

Les bombardiers

Maintenant, parlons des bombardiers : on prend des molécules anticancéreuses classiques, et on va les relarguer, les activer là où se trouvent les cellules à détruire. Dans ce cas, on bénéficie déjà d’une certaine sélectivité, ou du moins, d’espèces chimiques qui tuent mieux les cellules cancéreuses que les cellules normales. Ainsi, la spécificité des bombardiers n’a pas à être très fine… Du coup, ce sont les propriétés très générales des tumeurs, en tant que tissus, qui sont visées.

Parmi ces propriétés, deux reviennent plus fréquemment que les autres : le pH et le potentiel redox.

Les tumeurs cancéreuses sont extrêmement gourmandes en nutriments et en oxygène, qui vont être apportés par les vaisseaux sanguins. Le plus souvent, les vaisseaux normaux ne suffisent pas, et les cellules malignes sécrètent un facteur de croissance (le VEGF) qui permet la création de nouveaux vaisseaux autour de la tumeur : c’est le processus d’angiogenèse.  Le problème, c’est que les cellules, en se développent de façon anarchique, en formant la plupart du temps une grosse masse plus ou moins sphérique, où le centre est très mal irrigué. Du coup, les cellules sont en hypoxie (en manque d’oxygène). Moins d’oxygène, ça veut dire un milieu moins oxydant que les tissus normalement irrigués. Moins d’oxygène, ça veut aussi dire un pH plus acide : les cellules qui ne peuvent plus produire de l’énergie par respiration (où le dioxygène est nécessaire), se mettent à en produire par d’autres processus anaérobiques, comme la fermentation, qui produit divers acides (dont l’acide lactique, responsable de crampes lors d’efforts trop prolongés, durant lesquels les muscles aussi fonctionnent grâce à la fermentation).

Vue d'artiste d'une tumeur. On voit les vaisseaux qui l'alimente, la zone oxygénée autour (en rose), et la zne en hypoxie en bleue. (source)

Vue d’artiste d’une tumeur. On voit les vaisseaux qui l’alimente, la zone oxygénée autour (en rose), et la zone en hypoxie (en bleu). (source)

Alors, comment utiliser ces propriétés ?

Les « bombardiers » qui ont été mis au point, ou qui sont en cours d’étude, vont être sensibles à ces conditions acides et/ou réductrices., et vont larguer leur bombe uniquement dans les bonnes zones, c’est-à-dire dans les tumeurs. Prenons deux exemples.

Un Cis-platine plus sélectif ?

Le cis-platine est un des anti-cancéreux les plus utilisés. Il soigne très très bien les cancers des testicules (plus de 90 % si le cancer est pris à temps), et fait partie des cocktails « classiques » de soin de lymphomes, cancers de l’ovaire, etc.

Cis-platine
Cis-platine

Son mode d’action est simple : les ions chlorure (les « Cl » liés au platine) peuvent aisément se séparer du métal central, qui va pouvoir se lier à tout ce qui se trouve à proximité, et en particulier à l’ADN, comme on peut le schématiser :

Le cis-platine peut se lier de 4 façons différentes à l'ADN, bloquant globalement à chaque fois la capacité de la cellule à s'en servir.
Le cis-platine peut se lier de 4 façons différentes à l’ADN, bloquant la capacité de la cellule à s’en servir.

Le problème, c’est qu’en se liant à tout ce qui bouge dans le corps humain, il n’y a qu’une toute petite partie arrive jusqu’à l’ADN (seulement 5 à 10 %), et donc encore moins jusqu’à l’ADN des cellules cancéreuses. Cela a pour conséquence l’administration de doses plus élevées, et donc une exacerbation de sa toxicité et de ses effets secondaires. L’idée est donc de moduler les « ligands » (i.e. les groupes d’atomes liés au platine) pour qu’ils puissent relarguer le platine uniquement dans un milieu acide et/ou réducteur. Voilà une des bêtes qui a donc été proposé :

En haut, le composé analogue au cis-platine, avec des ligands "intelligents". En dessous, le ligand seul.
En haut, le composé analogue au cis-platine, avec des ligands « intelligents ».
En dessous, le ligand seul.

Beau bombardier, non ? Petite explication de texte (ou plutôt de structure) :

  • La partie en nid d’abeille a pour rôle d’augmenter l’affinité du médicament pour l’ADN. C’est une structure appelée « acridine », qui est connue pour s’intercaler entre les bases de notre double hélice, et de ne plus trop y bouger. Mais pour l’instant, aucune sélectivité des cellules malignes.
  • la partie qui se lie au platine est constituée d’une « pince » avec un oxygène, et un azote. En fait, elle est sensible au pH : s’il diminue (si le milieu devient acide, l’azote reste bien en place, mais l’oxygène se sépare du métal, libérant une position « d’attaque » du platine.
  • Entre les deux, il s’agit d’un bras espaceur, qu’il faut arriver à moduler afin d’obtenir la meilleure longueur, celle qui permettra à la fois au platine , et à la partie acridine d’agir correctement. Celui-ci a été choisi non pas en fonction de critère biologique ou biochimique, mais trivialement parce que les molécules pour le synthétiser étaient accessibles.

Alors, vous vous demandez si ça marche ? Et bien… On ne sait pas. Et la raison est simple : ce joli exemple de « design moléculaire » n’a jamais pu être mené jusqu’à son terme : le ligand a été synthétisé en 7-8 étapes, mais la formation du produit final avec le platine n’a jamais pu être réalisée avec succès.

Déçu, hein ? Bon, prenons un exemple qui a fait ses preuves in vitro.

La nano-bombe à fragmentation

Cette fois, le bombardier est un poids lourd : il s’agit d’une nanoparticule, formée par le repliement sur lui-même d’un polymère assez complexe. Le mieux c’est encore de vous montrer le schéma qui correspond à sa synthèse, paru en août 2012 dans Molecular Pharmaceutics :

Bon, place aux explications.

  • En marron clair, c’est le polymère de base, le PDSA. Son nom est suffisamment compliqué pour qu’il n’apporte rien.
  • En bleu, c’est du polyethylène-glycol, (connu sous le nom de PEG) . Un polymère particulièrement bien toléré par les tissus. La chose qui est originale, c’est qu’il est relié au PDSA par des liaisons Soufre-Soufre (S-S), plus connues sous le terme « pont disulfure », qui se rompent en milieu acide ou réducteur.
  • En vert, le c-RGD correspond à un petit assemblage d’acides aminés, qui permettent de cibler certaines cellules cancéreuses ( comme celles du cancer du colon). Ces polypeptides sont eux aussi liés au PDSA par des ponts disulfures
  • En rouge, enfin, la doxorubicine, LA bombe du dispositif. Un anticancéreux extrêmement efficace, donné fréquemment dans les tumeurs mammaires, mais aussi très toxique, et donc provoquant des effets secondaires difficilement supportable. La doxorubicine n’est pas liée par des liaisons chimiques au polymère, mais simplement « piégée » dedans.

En présence de doxorubicine, et en milieu physiologique, tout ce joli monde se replie sur soi-même pour former une nanoparticule composite, de quelques dizaines de nanomètre. Par contre, lorsque le milieu devient réducteur et/ou acide, les bombes sont larguées ! Les ponts disulfures se rompent, et la doxorubicine est larguée sur les cellules malignes ! Les tests in vitro ne montrent pas pour l’instant de meilleure efficacité de ce dispositif que pour la doxo seule. Néanmoins, c’est in vivo que ce dispositif sélectif des tissus acides et réducteurs prend tout son sens… Encore un peu de patience !

Un dernier exemple ?

Bon, si vous y tenez… J’ai assisté il y a quelques années à une conférence de J. Frechet, un petit frenchie qui est allé chercher la gloire aux USA (et qui l’a trouvé, entre nous…). Il travaillait en particulier sur des nanostructures appelés dendrimères :

Dendrimère : une sorte d'étoile moléculaire qui se fabrique en plusieurs "générations", comme un peu une image fractale

Dendrimère : une sorte d’étoile moléculaire qui se fabrique en plusieurs « générations », comme un peu une image fractale

 L’avantage de cette structure, proche du polymère, c’est qu’elle est grosso modo sphérique, compacte, et non linéaire. Elle fait en général quelques dizaines de nanomètre.

L’idée de Fréchet et de son équipe (voir la publication originale en 2006 dans PNAS (accès libre)) a été de décorer un dendrimère avec de la doxorubicine (et oui, toujours le même). Cette fois, avec des liaisons covalentes. Ce dendrimère décoré a montré une activité cancéreuse in vivo formidablement plus importante que la doxorubicine, et une toxicité très diminuée, à tel point que des doses normalement létales pour les cobayes (des souris en fait) étaient parfaitement bien supportées. Mais comment se fait-ce ? Cette fois, ce n’est pas le pH ou le caractère réducteur qui est en cause. C’est encore plus simple : il s’agit simplement de la taille des pores par lesquels arrivent normalement oxygène et nutriments depuis la circulation, dans les cellules : les dendrimères sont trop gros pour les cellules normales ! Par contre, les cellules cancéreuses ont des pores beaucoup plus larges, afin d’obtenir les grandes quantités de nutriments nécessaires pour leur développement. Cela a deux conséquences :

  • la toxicité est très amoindrie : ne pouvant pénétrer dans les cellules normales, la « bombe » ne fait (presque) plus de victime collatérale.
  • La nanostructure reste très longtemps dans la circulation sanguine, permettant d’obtenir une concentration quasi constante dans l’organisme, sans passer par des perfusions continues : Trop grosse, elle ne passe pas dans les pores des reins, qui filtrent le sang. Elle reste donc coincée dans le sang, jusqu’à ce que le corps la détruise…

Depuis, d’autres dendrimères décorés ont été proposés pour diverses pathologies, cancéreuses ou non, avec des succès divers.

De façon générale, cette technique du bombardier (ou du vecteur comme on l’appelle souvent) a de beaux jours devant elle, et on trouvera sans aucun doute des médicaments délivrés aux cellules malades sous cette forme. Reste que le problème de la sélectivité est toujours un enjeu principal. L’utilisation des propriétés générales des tissus en hypoxie, ou de la taille des pores est intéressante, mais il me semble qu’elle ne pourra venir qu’en complément d’une sélectivité liée à des marqueurs spécifiques des cancers. Et c’est là que cela devient compliqué, les cellules malignes étant souvent différentes d’un cancer sur l’autre, avec des marqueurs très spécifiques parfois. On imagine alors la solution (un peu trop théorique il est vrai) : un drone commun à toutes les tumeurs, qui largue une bombe spécifique à chacune ! 

Allez, au boulot les chimistes !

 

Un anticancéreux contre Alzheimer ?

On ne peut pas vraiment échapper à cette information : le Bexarotène, anticancéreux utilisés pour certains type de cancers de la peau, serait très, très efficace contre la maladie d’Alzheimer (Source : Science ou ici, plus court pour le grand public ). Une très bonne nouvelle sans aucun doute, pour les chercheurs qui souhaitent comprendre la maladie. Les malades et leur famille, eux ne doivent pas se réjouir trop vite, hélas.

Alois Alzheimer, « inventeur » de la maladie du même nom

Une chose qu’il ne faut jamais oublier : quelque soit l’anticancéreux, ces médicaments ne sont jamais anodins. Le principe d’action, pour la majeure partie de ces composés, c’est : « Tuez-les tous, Dieu reconnaîtra les siens ». Autrement dit : dévastez tout sur votre passage, et les cellules saines ont (un tout petit peu) plus de chance de s’en sortir que les cellules de la tumeur. Par exemple, le cis-platine, qui permet de soigner 90 % des cancers des testicules lorsqu’il est pris à temps, a une toxicité très aigue pour les reins. La doxorubicine, traitement de référence pour les cancers du sein, pose de graves problèmes cardiaques, parfois irréversibles lorsque le traitement est lourd. La liste n’est évidemment pas exhaustive…

Alors, le Bexarotène ? Et bien il ne fait pas exception. 

Bexarotène (Wikipedia)

Commercialisé sous le nom de Targretin, ce médicament a des effets secondaires lourds, et surtout très fréquents. Ainsi, plus de 10% des patients traités par le Bexarotène auront comme effet secondaire :

  • une leucopénie :  (chute du nombre de globules blancs) le patient est plus sensible aux infections (système immunitaire affaibli)
  • une hypothyroidie : la thyroide fonctionne au ralenti, d’où une asthénie, faiblesse musculaire, prise de poids importante, chute de cheveux…
  • un prurit, des éruptions cutanées

Sans parler des effets « fréquents » (1 à 10 % des patients): douleurs musculaires, squelettiques et abdominales, troubles hormonaux, nausées, diarrhées, étourdissements, … Une liste assez exhaustive est accessible ici. Compte tenu de ces effets, l’intérêt même d’un traitement au long court par ce médicament me semble douteux.

Alors, que faire de cette étude, que faut-il en attendre ?

Le bexarotène agit sur une protéine, nommée RXR (pour Retinoid X receptor), qui intervient à la fois dans certains cancers, et dans cette maladie neuro-dégénérative qu’est la maladie d’Alzheimer. Il est à noter que c’est actuellement un composé très efficace sur le RXR, tout en épargnant les protéines de la même famille. Ce qui lui permet d’avoir un « profil toxicologique » beaucoup plus acceptable que ses concurrents. Il reste, en fait, trois possibilités pour le traitement de cette maladie par ce composé:

  • Soit les doses nécessaires pour l’homme pour faire régresser la dégénérescence sont très faibles, et dans ce cas, le Bexarotène peut être utilisé, y compris pour des stades de la maladie peu avancés
  • Soit, et cela tient quasiment du miracle selon moi, un traitement de courte durée par le Bexarotène permet l’arrêt (définitif) de la progression de la maladie
  • Soit, et c’est sans doute la plus forte probabilité, le Bexarotène agit correctement à dose importante, mais son effet ne dure pas dans le temps.

Dans ce dernier cas, qui me semble le plus raisonnable, ce traitement pourra peut-être aider les personnes gravement atteintes, pour qui le rapport bénéfice/inconvénient sera positif, malgré les effets secondaires. Exit donc, le rêve d’une prise en charge précoce de la maladie, sous peine de voir le patient souffrir davantage des effets du médicaments, que de la maladie…

Enfin, cette étude met surtout en lumière qu’on a peut-être trouvé LA protéine à cibler. Et là, le travail reste considérable.  Mais au moins, on sait où chercher. Et cela est un progrès immense dans cette maladie si répandue, si méconnue.

[Je n’ai pas parlé ici des souris « modèles » sur lesquelles ont été testés ce médicament. Très très rapidement: ce sont des souris à qui on a modifié le patrimoine génétique afin d’avoir les symptômes de la maladie d’Alzheimer, et le même type de dégénerescence physiologique. Ce modèle reste néanmoins imparfait, car ces souris n’ont pas réellement la maladie d’Alzheimer qui ne semble pas être d’origine génétique]

Sources :

http://fr.wikipedia.org/wiki/Maladie_d’Alzheimer

http://en.wikipedia.org/wiki/Bexarotene

ApoE-Directed Therapeutics Rapidly Clear β-Amyloid and Reverse Deficits in AD Mouse Models P.E. Cramer et al., Science, 2012, Publié en ligne le 9 février 2012

Quand les grands du nucléaire soignent les cancers…

A traîner sur Twitter, j’en apprends de bonnes. Voilà Elifsu qui se met à parler d' »Areva Med »… La chose semblait entendue : Areva inventait des villages de vacances au pied des centrales nucléaires, pour profiter de la chaleur résiduelle des réacteurs… La classe ! Bon, en fait, pas du tout. Mais vraiment RIEN A VOIR…

Non, en fait, à l’origine, il y a une opération de com’ vers les blogueurs « influents » (dont je ne fais pas partie) de la part d’une filiale d’AREVA, AREVA MED, spécialisée dans le développement de traitements contre les cancers.

MED = médical et non méditérranée… Dommage… Mais l’occasion de me renseigner, et de vous faire part de cette chimiothérapie qui commence à faire ces preuves, la radio-immunothérapie. Je laisse le soin à Elifsu d’écrire sur son blog ce qu’elle pense de cette filiale d’Areva, qui pour moi fait tous les efforts du monde pour s’acheter une jolie image auprès du grand public…

Alors voilà. Pour traiter un cancer, on a trois voies :

  •  La chirurgie : arme redoutable contre les tumeurs bien délimitées, et accessibles aux bistouris. C’est souvent le cas, surtout quand on hésite pas à retirer tout l’organe qui va avec. Mais forcément, ça devient non utilisable pour des tumeurs mal placées (cérébrales par exemple), ou mal délimitées,..
  • La radiothérapie : ça marche plutôt bien aussi : On irradie à l’aide de faisceaux de photons (dans le domaine des Rayons X en général), ou d’électrons, (ou plus rarement protons, neutrons,…). Le seul petit hic : ça crame tout sur son passage ! Donc parfois inopérant pour des tumeurs profondes. Et dans le cas de cancers disséminés dans d’autres organes, ça ne sert plus beaucoup…
  • La chimiothérapie : En tant que chimiste, je trouve que c’est la plus -scientifiquement parlant- intéressante. En réalité, ça marche parfois, (le Cis-platine soigne 90 % des cancers des testicules pris à temps…, le Glivec a révolutionné les traitements de certaines leucémies, etc…), et puis parfois, les effets secondaires sont invivables, pour un bénéfice faible… L’avantage par rapport aux autres techniques, c’est que le composé anticancéreux va partout, y compris dans les endroits inaccessibles pour la chirurgie et la radiothérapie. L’inconvénient, c’est que le composé va partout, y compris dans les cellules saines, ravageant un peu tout sur son passage.

Est apparue depuis les années 1980 l’immunothérapie : En fait, on commence à savoir comment bien mieux cibler les cellules cancéreuses ; en particulier, on arrive à produire des anticorps (oui oui, les mêmes anticorps spécifiques de telle ou telle maladie virale ou bactérienne) agissant contre les cellules cancéreuses, ou plus précisément contre certains marqueurs spécifiques des cellules cancéreuses. Le plus connu, c’est l’Herceptine,  pour le traitement de certains cancers du sein, assez efficace, avec très peu d’effets secondaires. [SOURCE]. Mais il y en a beaucoup d’autres, commercialisés ou en tests cliniques. [SOURCES]

Il n’empêche, parfois cela manque encore d’efficacité. Par exemple, pour peu que les cellules cancéreuses soient résistantes aux attaques du système immunitaire, ou que celui-ci ne soit pas au top, ça ne marche pas bien ( les anticorps, une fois fixés sur les cellules malignes, sont censés activer la suite du processus immunitaire qui permet la destruction de la cible. Si il est défaillant, ben, c’est raté).

Alors, il reste une solution : doter les anticorps d’une arme de destruction massive (comme ça, plus besoin du système immunitaire !). Et pas une arme chimique, non, une véritable BOMBE NUCLEAIRE !! Si si !!!

C’est très simple, sur les anticorps, on greffe des atomes radioactifs, émetteur de particules β (en fait simplement des électrons) et/ ou de rayons γ, qui vont agir directement sur la cellule cancéreuse ciblée(et celles qui se trouvent à proximité). Bref, une radiothérapie ciblée, localisée au niveau des cellules cancéreuses. Cette technologie existe maintenant depuis une vingtaine d’année, et sert par exemple à traiter des leucémies, à l’aide de l’yttrium 90 (nom de code du médoc : Zevalin ). On se sert aussi de l’iode 131, en particulier pour traiter les cancers de la thyroïde (pas besoin d’anticorps, dans ce cas), et tout plein d’essais sont en cours.

 Un exemple (hélàs en anglais. Pour info : « antibody = anticorps ;  cd20 : marqueurs de surface reconnu par les anticorps, nus (« naked ») ou accompagnés de l’élément radioactif (« radio-labelled »))

Il s’avère qu’une des améliorations majeures attendues de la radio-immunothérapie, outre la fabrication d’anticorps dirigés vers d’autres cibles cancéreuses, consiste en l’utilisation d’autres éléments radioactifs, mais émetteurs α cette fois. L’intérêt est très simple : les rayons γ ou  les particules β peuvent se propager sur une assez grande distance avant d’interagir avec la matière : la zone irradiée est de l’ordre du milimètre. Les α, eux, sont beaucoup plus gros, et donc vont se propager dans une zone plus faible (environ 50 µm, 200 fois plus précis donc !).

Et c’est là qu’Areva intervient. J’imagine un brain storming… :

– Bon, les gars, on a deux soucis sur le dos : 1. on ne nous aime pas. (murmure de désapprobation dans la salle) 2. On a plein de Thorium à Cadarache, radioactif il va de soi, et il se désintègre lentement sans qu’on en fasse grand’chose. (soupirs nombreux…). Faut changer tout ça ! Une idée ?? Personne ? Ah Jean-Paul, t’es encore bourré du pot de départ de hier soir, mais y a personne d’autre…

(Avec une voie pâteuse et mal assurée) On a qu’à utiliser les produits de désintégration du Thorium pour soigner des gens de cancers, comme ça, on libère de la place à Cadarache, et on devient des bienfaiteurs de la médecine !!

– [Le reste de l’assemblée, morte de rire] Mais qu’il est con, ce Jean Paul ! Allez, va cuver ton vin !

-[Et puis un ptit bonhomme] Oui, il est con. Mais si il avait raison ??

Chaîne de désintégration du Thorium 232

Et voilà qu’un des descendants du Thorium, le Bismuth 212 a exactement les bonnes propriétés. Ou plutôt son père, juste suffisamment stable pour avoir le temps de préparer le médoc, le Plomb 212, émetteur α, et greffable sur un anticorps (j’ai très envie d’en parler, [c’est la partie « chimie »], mais ça sera pour une autre fois). Et Areva Med est née. Pour l’instant, tout se passe bien, le 212Pb-TCMC-Trastuzumab (En fait l’équivalent de l’herceptine, mais avec le Plomb 212 en plus de l’anticorps) est en phase I des tests cliniques depuis quelques mois, et l’usine de production de cet élément radioactif en cours de construction dans le Limousin. Et v’là qu’Areva rachète même une boîte de chimie organique, « Macrocyclics », leader dans la production de « molécules-cages » (dans le cas précédent le « TCMC » ) permettant de greffer le métal émetteur α à l’anticorps. Apparemment, ils y croient à mort !

Un commentaire général sur cette nouvelle activité d’AREVA : La mise au point d’un médicament coûte vraiment très cher, et sa rentabilité soumise à un grand nombre d’aléas, et en particulier l’acceptation des autorités sanitaires (FDA américaine, AFSSAPS française, EMA européenne) à la mise sur le marché. Sans compter qu’on n’est jamais sûr que cela va apporter un bénéfice réel aux patients par rapport aux autres chimiothérapies… Mais bon, Areva peut sans doute se le permettre, et ainsi renverser complètement l’image qu’a le nucléaire : au lieu de provoquer des cancers, rendre stériles pendant des siècles des km² autour des centrales accidentées, l’atome soigne et guérit les pires maladies… Il y a une chose supplémentaire à ne pas oublier : pour faire de la médecine nucléaire, aujourd’hui indispensable pour la santé publique, il faut des entreprises capables d’extraire des éléments radioactifs, les manipuler, les transformer. Qu’Areva s’engage dans cette démarche (et même si c’est uniquement dictée par le service com’ de la boîte, et même si ça me fait mal au coeur de dire du bien d’une telle boîte) est une très bonne chose pour la médecine.

Source :

>Liens entre cancer et stress : Oui, mais quel stress ?

>

Le stress, c’est pas bon pour la santé… Tout le monde le dit. Et puis, il y a le bon stress, celui qui fait réussir les exams, le mauvais, celui qui fait mal dormir et qui tétanise, … Et puis il y a le très très mauvais, celui qui donne le cancer. Certains disent que c’est le stress permanent, celui de la vie urbaine occidentale (au fait, qui stresse le plus ? L’employé de bureau en retard dans un métro bondé, ou les membres d’un village vivant de l’agriculture à l’arrivée d’un nuage de sauterelle venu manger tout ce qui pousse ?).

Lorsqu’on regarde un peu sur internet, on tombe sur des sites (comme celui-là ou celui-ci) qui explique, parfois de façon a priori raisonnable comment le stress pourrait nous conduire aux cancers. Bon, je ne parlerais pas de ce que j’en pense, de ces sites, parce que je n’en ai pas vu grand chose, et parce que ce n’est pas le sujet. Heureusement, il y a aussi des articles vraiment sérieux, comme celui paru en 2000 dans le bulletin du cancer, disponible ici.
Il y a aussi cet article, intitulé « Psychological factors and cancer development: Evidence after 30 years of research » dans la Clinical Psychology Reviews. Le constat est sans appel :

«  It was concluded that there is not any psychological factor for which an influence on cancer development has been convincingly demonstrated in a series of studies »

Aucun lien entre survenue d’un cancer et tout facteur psychologique. C’est dit. Cependant, l’étude montre effectivement que certains facteurs psychologiques ont une influence, pas toujours positive, sur le pronostic. Mais ce n’est pas là que je voulais en venir…

Il y a bien un stress qui cause le cancer, et pour moi, toute la confusion vient de là. Il s’agit du « stress oxydant ». Qui n’a absolument rien à voir avec le stress psychologique.
Pour expliquer simplement ce qu’est le « stress oxydant » (pour des explications plus complètes, et néanmoins assez accessibles, voir ce cours de la fac de sport d’Avignon), il faut comprendre que la respiration, dans l’idéal, c’est la réaction du dioxygène avec (schématiquement) du sucre : 

                      

Oui, mais voilà, et c’est normal, cette situation qui correspond à une « réduction » du dioxygène (O2) en eau (H2O) est idéale, et souvent le dioxygène n’est « réduit » que partiellement, ce qui donne lieu à la production d’espèces réactives oxygénées (ROS en anglais), plus connues sous le terme générique de …. « Radicaux Libres« . Passons sur la nature de ces radicaux. Toujours est-il que ces espèces chimiques sont très très réactives, et vont réagir avec toutes les molécules qui traînent : lipides, glucides, protéines, ADN, conduisant au vieillissement des cellules, l’altération de leurs fonctions… Mais cela est normal, et tout un arsenal existe pour limiter leur effet (voir même l’utiliser) : certaines enzymes les neutralisent (superoxyde dismutase, catalase,…), et puis il y a les anti-oxydants, qui vont réagir avec ces ROS à la place des autres molécules plus « essentielles ». ces anti-oxydants, c’est les vitamines (E et C en particulier), les fameux polyphénols (présents dans les canons de rouge, comme dans le jus de raisin), le glutathion,  et j’en passe une quantité faramineuse, la plupart étant présent dans les fruits et légumes.
La situation de stress oxydant correspond en fait à un déséquilibre entre la capacité de la cellule à réguler la quantité de ROS, et leur abondance. A ce moment, les attaques des radicaux libres ne sont plus compensées, réparées, et la cellule ne fonctionne plus normalement. Si l’ADN est touché, cela conduit à des mutations multiples, ayant pour conséquence la mort cellulaire, ou pire, à l’apparition d’une tumeur cancéreuse.
[Ayons tous à l’esprit que d’un point de vue statistique, la survenue d’un cancer, par cellule, est rarissime. Mais multiplié par le nombre de cellule, et par la durée, on finit par avoir un risque global non nul…]
Exposition à des rayonnements (UV, Rayons X,..) , carences nutritionnelles, inflammations / agressions chroniques (comme avec le tabac, l’amiante,…), sports intenses(!!), protéines non fonctionnelles, tout cela contribue à déséquilibrer la balance, et à générer du stress, qui pourra avoir des conséquences sur la santé de l’organisme.

Alors, la conclusion ? Stressez, déprimez, ça sera pénible, mais vous ne serez pas plus malades ! (Espérons que cela remonte le moral à quelques hypochondriaques…)

>Les aliments contre le cancer… point final ?

>Ca y est, le rapport de l’ANSES (agence nationale de sécurité sanitaire) est tombé. Laissez tomber le curcuma, le thé vert et l’ail en gélule. Ca ne marche pas. Pas pour les cancers en tout cas.

Depuis quelques années, on a le droit à ce type de bouquin :
 ou  ou encore livre David Khayat

Il y a certainement des choses de bien dedans, mais ils véhiculent une idée érronée tenace: on va pouvoir prévenir une maladie tel qu’un cancer par l’alimentation.
Le rapport « Nutrition et cancer » de l’ANSES permet d’y voir plus clair, et il est sans appel  :

« L’approche portfolio qui associe l’analyse de données issues de différentes méthodologies et
complémentaires (in vitro, in vivo, chez l’animal, cliniques, épidémiologiques, méta-analyses) montre
qu’il n’existe pas d’aliment ou de nutriment qui puisse être directement incriminé de façon isolée dans
la survenue d’un cancer. La prévention nutritionnelle des cancers s’appuie ainsi sur des
recommandations de comportement et ne cible pas la consommation ou l’éviction d’un aliment en
particulier. »

Cela vient confirmer le rapport du WCRF : ce qui permet de prévenir environ un tiers des cancers, c’est une bonne hygiène de vie, alimentation variée, riche en fruit et légume, pas trop en viande rouge et charcuterie, pas trop en alcool.
Mais alors, de quoi sont fait ces bouquins ? Leurs auteurs sont neurologues (D. Servan Shreiber), oncologue (D. Khayat), Docteur en biochimie, chercheurs en oncologie… Bref, des gens respectables ? Sûrement, cela va sans dire. Maintenant, ils se basent sur un gros travail bibliographique, de près de 100 articles scientifiques par livre ! A comparer aux 7000 études retenues après sélection (parmi 500000 !) pour le rapport du WCRF, relues et décortiquées par 9 équipes de recherche, puis synthétisés par 21 scientifiques reconnus. L’écart d’échelle est tel, que cela se passe de commentaire.

Un dernier point, peut-être le plus fondamental : Il faut comprendre comment marche la recherche des nouveaux anticancéreux.
   La première chose qui est testée lorsqu’une nouvelle molécule est mise au point et sa cytotoxicité, c’est-à-dire sa toxicité envers des cellules. Un candidat potentiel comme agent anti-cancer est avant tout un composé qui agit sur les cellules de tel ou tel type de cancer. Après, et seulement après on se pose la question de son inocuité vis-à-vis des cellules saines. Et c’est ainsi que n’importe quel poison se retrouve potentiellement anticancer !! Et même plus généralement, n’importe quelle molécule, à part le glucose, se trouve à une certaine dose, être toxique pour les cellules cancéreuses.
C’est ainsi que le premier de ces livres en question raconte que le limonène (principal composant de l’huile essentielle d’orange…) est un anticancéreux… Si seulement cela pouvait être vrai… Les auteurs font preuve içi d’un manque de méthodologie d’analyse des articles qui frôle la mauvaise foi…

   Pour finir, il faut bien se mettre dans la tête que les molécules anti-cancers sont en général super toxiques pour les cellules saines ou pour l’organisme, et que les fenêtres thérapeutiques (doses permettant un traitement efficace de la maladie sans être trop toxique pour l’individu) sont extrêmement étroites.
Si on trouve dans le navet par exemple une nouvelle espèce chimique anti-cancer, c’est soit qu’elle est en quantité infime, et qu’elle n’a aucune conséquence sur la santé, soit c’est que le navet est sacrément toxique, et qu’il ne faut surtout pas le manger… !

>Le patrimoine génétique des cancers

>Les cancers sont liés, de manière (quasi) certaine, à des mutations dans le code génétique. A force de se diviser encore et encore, à force de vieillir, l’ADN des cellules s’altère, et des erreurs, par ci et par là, apparaissent. A vrai dire, à chaque division cellulaire, plusieurs mutations apparaissent. Heureusement, plusieurs raisons font que ces mutations n’entraînent pas de formation de tumeur :

  • La plus grande partie de l’ADN est « non-codante » : elle ne contient pas d’information génétique : une modification de l’ADN non codant n’a donc aucune conséquence
  • Certains modifications de l’ADN codant sont insignifiantes, et n’occasionne aucun changement dans le fonctionnement des cellules
  • Certaines modifications de l’ADN sont tellement significative, que la cellule meurt
  • Certaines modifications sont significatives, mais tout un tas de protéines régulatrices « réparent » les erreurs, et tout continue correctement.
On pourrait bien sûr détailler durant des heures, des vies entières chacun de ces points, parler du rôle du système immunitaire, parler de sénescence de certaines cellules, d’apoptose… Mais je voulais en venir ailleurs.
Les chercheurs s’interrogent souvent sur le nombre minimal de mutation nécessaire pour qu’une cellule évolue en cancer. Il semblerait que le nombre soit assez restreint. Un article récent paru dans Science parle d’un nombre moyen de 11 mutations pour les medulloblastomes (cancer du cerveau chez les enfants), soit 5 à 10 fois moins que dans la plupart des cancers d’adultes. Même si c’est relativement peu, il faut bien imaginer que cela correspond à des mutations bien précises dans des gènes bien précis, et donc que la plupart d’entre nous serons concernés par des cancers qu’en toute fin de vie.
Cette quête aux mutations nécessaires et suffisantes pour obtenir un bon cancer est un travail formidable, qui aura forcément comme conséquence la mise au point de chimiothérapies efficaces, et ciblées contre ces quelques gènes défaillant.
Mais je me suis souvenu d’une image que l’on m’avait présenté à la fac. Un caryotype d’une cellule cancéreuse.
Alors voilà, côte à côte, un caryotype de cellule saine, et celui d’une cellule cancéreuse :

             
Vous reconnaissez sans doute le caryoptype normal à gauche, avec ces 22 paires de chromosomes (plus les X et Y). Et celui de droite, d’une cellule de tumeur du sein : jusqu’à 7 chromosomes identiques au lieu d’une paire, certains tronqués, d’autres au contraire très longs… Ce qu’il s’est passé ? une absence totale de régulation lors de la réplication de l’ADN dans la cellule cancéreuse. A partir de quelques mutations, bien mal tombées, on finit par obtenir un patrimoine génétique délirant. Et à chaque division cellulaire, cet « anarchisme » génétique évolue encore, avec de nouvelles mutations… 
D’où la difficulté de les combattre… Imaginer que les cellules cancéreuses sont comme des cellules saines, mais ayant acquises juste quelques caractéristiques supplémentaires les ayant rendues agressives semble négliger cette pagaille génétique, et ces mutations permanentes… Mais quelle autre approche pour la recherche médicale ?
Sources :