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Alerte, le bio va tous nous faire mourir de faim !

C’est terrible ! Une IMMENSE catastrophe est sur le point d’arriver. Oui, les hommes et femmes, dans leur folie, ont inventé une véritable machine à tuer, à affamer la terre entière. Exit le nucléaire, la finance internationale, la Corée du Nord, Le Proche-Orient, ou le réchauffement climatique. Ce sont des broutilles, comparées à l’ARME AGRICOLE ABSOLU : l‘agriculture biologique. [C’est vrai que cette chute est un peu décevante.]

Alors, redescendons un peu sur la Terre. C’est en lisant le titre d’un article paru dans Nature que j’ai avalé de travers ma purée de panais biologique locale et équitable : « Organic Farming is Rarely Enough« . Non,  sérieusement, l’agriculture biologique est « rarement suffisante » ? Suffisante à quoi ? La chose qui vient en tête, nécessairement, c’est la fameuse question de la production de  nourriture pour  la population mondiale, aujourd’hui de 7 milliards d’habitants, et demain…  Demain combien, d’abord ?

A noter que cette photo initialement publiée sur lefigaro.fr n’a aucun lien avec une surpopulation, mais l’illustre (avec un avertissement) sur le site malthusien demographie-responsable.org

D’après les prévisions de l’ONU, nous serons, dans le scénario moyen, 9 milliards en 2050, 10 milliards en 2100, ce qui constituera un maximum absolu. Le scénario « bas » tend vers une diminution de la population mondiale, à 6 milliards en 2100, et le scénario « haut » vers une augmentation autour de 15 milliards à la fin du siècle. La difficulté réside donc dans le choix du bon scénario. Un démographe interviewé par France Inter il y a quelque mois penchait pour une population inférieure à 10 milliards en 2100, rappelant que depuis les années 1970, toutes les estimations de l’ONU ont systématiquement été revues à la baisse…(Hélas, je n’ai aucune idée du nom du démographe en question, ni de ses sources…) Mais retenons un scénario moyen, pour la suite du raisonnement.

Quelle est donc la capacité de production agricole sur notre bonne vieille Terre ? Je me demande qui pourrait avoir la malhonnêteté intellectuelle de répondre par des chiffres précis à cette question ! La FAO tente néanmoins des projections pour répondre à cette question. Le document « Comment nourrir le monde en 2050 » est par exemple assez intéressant, et reflète les idées qu’on retrouve dans les autres papiers : la question des ressources agricoles mondiales ne se pose pas vraiment. La Terre a largement les moyens de nourrir les futurs 9 milliards d’humains. Les zones agricoles non exploitées sont nombreuses (et on ne parle pas ici de zones actuellement protégées, mais bien de zones « réellement disponibles ». Je reviendrais là dessus un peu plus bas), et les marges de progression en terme de rentabilité sont importantes.

Mais voilà, la réalité, c’est que plus de 800 millions de personnes dans le monde souffrent de sous-nutrition ou de malnutrition. Les raisons sont bien sûr politiques et économiques : terres cultivables en pleines zones de conflits, guerres où la faim est une arme, main-mise de multinationales sur les terres arables, … (Vous pouvez lire à ce sujet, si vous avez le coeur bien accroché, l’excellent « Destruction massive. Géopolitique de la faim« , Le Seuil, de J. Ziegler, ancien rapporteur spécial à l’ONU sur la question du droit à l’alimentation). Une explication, qui me semble, à titre personnel, « annexe » pour l’instant, réside dans le gaspillage alimentaire : la FAO estime à 30 % la quantité de ressources agricoles gâchées avant consommation. Perdues par manque d’infrastructure agricoles (les grains pourissent en bordure des champs en attendant un mode de transport), par gaspillage de la part de tous les maillons, depuis l’agro-industrie, jusqu’à dans notre frigo. Là où j’estime que ce problème est secondaire actuellement, c’est qu’il existe un gros décalage entre les pays développés, où 40 % environ des ressources agricoles sont détruites avant consommation, et les pays en voie de développement, où ce sont seulement 6 % des ressources qui sont perdues (source : FAO : Global Food Losses and Food Waste, 2011). Les pays qui sont le plus en « insécurité alimentaire » ne sont pas ceux qui gaspillent. Avec les capacités actuelles de production, pour la population actuelle, ce problème, pour moi, intervient à la marge, par rapport aux enjeux politico-économique qui affament.

Revenons à l’agriculture biologique. Nature a donc publié une metaanalyse sur les rendements de l’agriculture biologique comparés à ceux de l’agriculture conventionnelle. Pas de surprise, l’agriculture biologique produit des rendements plus faibles. Si on considère une moyenne mondiale, les rendements sont environ 20 % plus faibles. Ces rendements varient beaucoup, en fonction des espèces cultivées et de la qualité de l’environnement agricole. Pour les parcelles pauvrement irriguées, le facteur limitant est l’apport en eau. L’agriculture conventionnelle ne fait pas beaucoup mieux que le bio. A contrario, lorsque les sols sont pauvres, ou trop acides ou basiques, c’est l’agriculture conventionnelle qui fait mieux, grâce à un apport supplémentaire d’azote et de phosphore par les engrais « chimiques ». En considérant des pratiques biologiques optimales, les rendements diminuent en moyenne de 13 %.

Cet article permet ainsi d’analyser plus finement les améliorations à apporter à l’agriculture biologique. Mais en aucun cas il ne met en avant les insuffisances du bio !

La question de la sécurité alimentaire est un enjeu mondial majeur, spécialement avec une population qui augmente. Mais la question ne semble pas être « pourra-t-on produire suffisamment ? », mais plutôt comment faire pour que tout le monde puisse avoir accès à ces ressources agricoles. Certains posent de la même manière la question de la consommation de la viande, qui serait une des sources de l’épuisement des ressources. Je les renvois à cet article de Science d’il y a 2 ans, qui affirme finalement que l’impact d’une baisse de la consommation de la viande serait complètement négligeable face à la problématique de la sécurité alimentaire.

Finalement, cette problématique est assez semblable à celle de l’eau potable : il y en a, et il y en aura assez pour tous, mais pour des raisons économiques, géopolitiques, des millions de personnes en sont privés. Alors, cessons d’agiter le chiffon rouge, de nous faire peur avec ce malthusianisme latent. Et attaquons-nous aux véritables problèmes économiques, sociaux, politiques, et non technologiques, pour l’agriculture et les ressources vitales .

[Je recommande chaudement le numéro spécial de Science sur la sécurité alimentaire, qui éclaire quelques points de cette question fondamentale de la sécurité alimentaire]

Le vitalisme est-il soluble dans la science (4) : Un nouveau vitalisme

Le vitalisme, tel qu’il a été décrit depuis ses origines par Barthez (voir partie 2), en réaction de la théorie mécaniste issue de Descartes (voir partie 1), ne subsiste plus qu’à travers des pratiques un peu douteuses, non rigoureuses d’un point de vue scientifique, grâce en particulier aux efforts tout particuliers du  psychiatre et psychanalyste W. Reich (partie 3). Alors, ç’en est fini du vitalisme scientifique ? Pas tout à fait. Et il revient sous une autre forme, particulièrement intéressante, et constructive. Il s’agit ici du refus d’un réductionnisme épistémologique.

Bon, les gros mots ont été lâchés. Tachons maintenant d’être plus clair… Le réductionnisme, c’est la doctrine selon laquelle, il faut expliquer tous les phénomènes par le nombre le plus réduit de loi et de théorie.

On peut prendre un joli exemple : Avant le concept de gravitation universelle (mis en avant par I. Newton), le mouvement des astres et celui d’un projectile sur terre n’était pas considéré comme découlant des mêmes phénomènes physiques. Que le poids (la force « poids ») et l’attraction des astres entre eux puissent être expliqués par les mêmes lois de la mécanique constitue une réduction de la mécanique terrestre et celeste. C’est assez systématique en science. On invente la théorie de la relativité, la mécanique quantique, et on essaie ensuite de réduire tout cela en une théorie qui permet de tout expliquer.

La chimie n’est pas en reste. On cherche des règles qui régissent chacun des éléments, ou chacune des espèces chimiques isolées durant tout le moyen âge et la renaissance, et puis on (ré)invente l’atome, puis l’électron et le noyau, et toutes les  réactions chimiques sont réduites à des échanges d’électrons entre les espèces. ça en devient presque énervant. Surtout si on considère que finalement, tous ces échanges d’électrons peuvent être réduits aux interactions fondamentales; qui elles-mêmes…

On en vient à la biologie, même s’il y a déjà beaucoup de chose à dire sur les limites du réductionnisme dans la chimie…

La théorie mécaniste des sciences de la vie nous dit, finalement, que la biologie peut se réduire aux sciences physiques et chimiques. Simplement, si on regarde en détail chacun des organismes, on voit un assemblage dynamique de molécules compoosées elles-mêmes d’atomes, liés entre eux grâce à des liaisons qui ne sont finalement que la mise en commun d’électrons, régies par les lois de l’électromagnétisme. Ce qu’on appelle le réductionnisme ontologique :  c’est justement dire que dans l’absolu, la matière étant faite de ce qu’elle est, tout peut être réduit à la physique fondamentale.

Doit-on pour autant nier que la biologie est une science à part entière, et affirmer qu’il ne s’agit que d’un champ d’application un peu particulier et assez complexe de la physique et la chimie ? là, ça serait réduire la biologie à une simple émanation de la physique. Ce réductionnisme, dit épistémologique, semble aller trop loin.

Pourtant, lors de la seconde moitiée du XXeme siècle, la biologie s’est considérablement transformée. L’arrivée de la biochimie, de la génétique moléculaire est apparue comme un rapprochement inexorable avec la chimie. Toute l’évolution darwinienne, tous les processus cellulaires semblaient se résumer à quelques transformations chimiques. La  biologie de l’observation a déclinée, au profit de la biologie moléculaire. On ne compare plus aujourd’hui la morphologie de deux organismes, mais leur ADN, pour connaître les liens de parentés. Sans doute à raison dans la plupart des cas. Et que dire de la « biologie synthétique » ? Puisqu’un organisme vivant ne semble être que la somme de composant chimique, pourquoi l’homme n’arriverait pas à synthétiser une bactérie ? On a ainsi par exemple déterminé le nombre minimal de gènes qu’un organisme doit contenir (voir par exemple cet article de Science). Et fabriqué des organismes dont le génome avait été synthétisé en laboratoire (voir ici pour l’article de l’équipe de C. Venter, et là pour mon commentaire).

Mais est-il possible de s’arrêter là ? Force est de constater que l’organisation du vivant reste un grand mystère moléculaire. De nombreux phénomènes analysés, modélisés en biologie résistent à une approche purement ‘chimique’. L’arrivée en force de l’épigénétique bouleverse les lois « chimiques » de l’évolution et de la génétique moléculaire. La complexité des phénomènes en jeu dépasse tout ce que l’on avait prévu. Certains exemples sont saisissants, et paraissent échapper à toute logique chimique. Prenez le rapport entre taille des cellules et taille des organismes : une très vieille expérience a montré que si on fabriquait des cellules dont on multipliait le nombre de chromosomes par 2 ou par 5, on augmentait considérablement leur taille. Mais lorsqu’on regarde la taille de l’organisme formé par ces cellules, elle reste identique ! Il y a simplement moins de cellules présentes…

l'organisme pentaploïde (5 chromosomes) a la même taille, mais beaucoup moins de cellules que l'haploïde

(Je vous laisse apprécier cet article de Kirschner et al., paru dans Cell en 2000 sur différents exemples de propriétés biologiques insolubles dans la chimie)

Voir les sciences de la vie de façon uniquement mécaniste revient donc plutôt à nier cette science. Alors que certains des processus de la vie, ne seront jamais compris à l’échelle moléculaire. Alors que cela n’a même pas réellement d’intérêt. Je n’ai pas besoin en chimie d’invoquer l’interaction faible qui permettrait éventuellement de briser la symétrie entre les énantiomères R ou S, je n’ai pas non plus ce besoin d’expliquer chaque changement infime dans les énergies d’interaction entre l’histidine 148 et le glutamate 349 de telle protéine, lorsque son substrat se lie à elle.

Alors, n’est-il pas là, le nouveau vitalisme ? Les êtres vivants sont constitués d’atomes, dont l’organisation dépend uniquement des grandes interactions fondamentales et des grandes lois de la mécanique, de l’électromagnétique… Mais la vie correspond à un niveau supérieur d’organisation, non soluble dans le monde de la physique et de la chimie. Soyons humble devant ces organismes qui évoluent, se reproduisent, et meurent. Ne les abaissons pas à des « mécanismes d’horloges très sophistiqués ».

Sources : 

Wikipedia

http://plato.stanford.edu/entries/reduction-biology/

L’article de Kirshner (Cell, 2000)

Merci à mon Beauf, agrégé de philo pour ces quelques discussions sur le sujet ! J’espère ne pas avoir trahi les notions qu’il a tenté de m’expliquer, les auteurs dont il m’a parlé. Il n’a pas de blog, mais il est intervenu dans lesvendredisintellos.com , sur le droit à l’enfant et sur l’articulation Nature /culture dans l’éducation.

Pourquoi le sang est-il rouge (ou bleu, ou vert, ou rose parfois) ?

Oui, c’est vrai ça, y a t-il une réelle raison pour laquelle le sang humain est rouge, à part pour faire des superbes scènes de tueries dans la neige?

Dans ce billet sanguinolant, on va revenir sur la couleur de tous les sangs, et pas seulement humains. Oui, parce que dans le règne animal, il existe de sacrées bestioles au sang vert, bleu ou encore rose.

Plus précisément, on va parler des transporteurs du dioxygène, puisque c’est eux la plupart du temps qui conditionnent la couleur.

Un des rôles principaux du sang est effectivement de transporter le dioxygène, O2, à toutes les cellules de l’organisme, qui, lors de la respiration, vont produire de l’énergie chimique (de l’ATP (adénosine tri-phosphate)) nécessaire à leur bon fonctionnement. Mais voilà, comment transporter du dioxygène, gazeux, et trop peu soluble  dans les fluides corporels ? C’est là que les ‘transporteurs de dioxygène’ font leur apparition. On les imagine tout de suite comme ça :

 

Et oui, « il était une fois la vie » a parfois laissé des traces indélébiles…

 

 

Dans le sang humain, les transporteurs d’O2 sont contenu dans des cellules spécialisées, les fameux globules rouges, ou hématies. Au coeur de celles-ci sont présentes des protéines particulières, les hémoglobines.

Hémoglobine humaine (wikipedia)

Quand on regarde de près la structure de cette protéine, on s’aperçoit qu’il s’agit en fait d’un agencement de quatre sous-structures identiques (2 en jaunes, 2 en roses). Et au coeur de chacune de ces structures, composées principalement d’hélice, se trouve une drôle de molécule, circulaire, plane, dessinée en vert appelée hème. On s’approche du but. Quand on regarde précisément, voilà sa constitution :

Hème (de type b) (Wikipedia)

 

Ce qui est ici remarquable, c’est cette structure carbonée et azotée cyclique, plane, qui entoure un atome de fer.

[Pour les chimistes, on a ici une porphyrine, qui sert de ligand au noyau fer, qui se trouve ainsi stabilisé dans cet état d’oxydation (+II)]

C’est justement au niveau de cet atome de fer que va pouvoir se fixer une molécule de O2. Le reste de la molécule d’hémoglobine sert d’une part à stabiliser l’hème, à ‘exposer’ son centre pour une plus grande facilité de fixation, et aussi à stabiliser les deux atomes d’oxygène nouvellement fixée.

Hème portant une molécule de O2. (PNAS)

[Ce n’est pas trivial de ‘fixer’ une molécule de O2 de cette façon. D’un point de vue électronique, on obtient une structure censée être complètement instable. Le noyau porphyrine permet une certaine stabilisation, mais ce sont aussi les liaisons « faibles » (en pointillé sur la figure ci-contre) entre les atomes d’oxygène et le reste de la protéine qui permet la stabilité globale de l’édifice)]

 

On a donc, si vous avez bien suivi, quatre molécules de O2 transportées par hemoglobine. On est loin des « bulles » d’air de la série animée…

Et la couleur du sang, dans tout ça ?? Et bien c’est l’hème qui la donne. En effet, les complexes de métaux de transitions (ici le hème avec son noyau de fer) sont très souvent colorés.

Des solutions de complexes de métaux de transitions (complexes de cobalt, chrome (2), nickel, cuivre, manganèse)

Sans trop entrer dans les détails, ces couleurs sont dues aux propriétés électroniques de ces molécules. Les écarts entre les niveaux énergétiques aux sein de ces complexes sont tels qu’ils correspondent à l’absorption de certaines longueurs d’onde de la lumière visible, conduisant à un aspect coloré. Ces propriétés électroniques dépendent de l’environnement de l’atome métallique (des « ligands » : dans le cas de l’hème : de toute la partie ‘organique’ de la molécule) ainsi que de la nature du métal (Fer, cuivre, etc.), et de son degré d’oxydation (qui correspond au nombre d’électrons qui lui manque par rapport à l’état métallique. Pour le Fer (II), il manque 2 électrons).

L’exemple le plus ‘humain’, c’est la différence de couleur entre le sang oxygénée, dans les artères, dans lequel les atomes de fer sont liés aux molécules de O2, et le sang désoxygéné, dans les veines. Le premier apparaît rouge vif, le second beaucoup plus sombre.

Mais il y en a beaucoup d’autres. Les protéines qui transportent le dioxygène sont relativement variées. L’hemocyanine est un autre exemple . Ce transporteur présent chez les cephalopodes (pieuvres, …) et certains arthropodes (crabes, limules,…) a la particularité d’utiliser le cuivre comme métal auquel se lie O2. Ce qui est aussi assez intéressant, c’est que ce métal est directement lié à la protéine, sans hème intermédiaire, grâce aux histidines qui permettent sa complexation.

Hemocyanine et oxyhemocyanine. Les groupes d’atomes liés aux cuivres proviennent d’acides aminés histidines de la protéine. (On voit par ailleurs un mode de fixation du dioxygène très différent qui pour l’hemoglobine ) (source)

 

 

 

 

 

 

Une autre propriété remarquable de cette protéine, c’est d’être bleue. Et ouaip, les céphalopodes ont le sang bleu !!

Collecte de sang de limule (: l’hemocyanine a aussi des intérêts médicaux, par son caractère immunogène (source)

On a aussi l’hemerythrine, à base de fer à nouveau, mais comme pour l’hemocyanine, le métal est directement lié à la protéine.

Hemerithrine, (enfin, assemblage trimérique…) Les atomes de fer vont par deux… (wikipedia)

Cette fois ci, ce transporteur est incolore sans oxygène, et devient rouge-violacé avec. De quoi colorer le corps de certains vers…

 

 

 

Priapulide

 

 

 

 

 

 

On a aussi la chlorocruorine, qui est un transporteur hémique avec du fer, mais qui est…verte (présente chez certains polychètes)

euh…Paraît-il que les aliens aussi ont de la chlorocuorine dans le sang…

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Certains tuniciers, souvent de couleurs magnifiques ont un transporteur d’oxygène à base de vanadium… (Les couleurs sont liées à d’autes molécules, de la famille des pyridoacridines, qui sont des poisons sympas, mais si colorés !)

 

 

 

 

 

Bon, vous l’aurez compris, avec le sang, on peut en voir de toutes les couleurs. Notez tout de même qu’à chaque fois qu’il faut transporter du dioxygène, on fait appel à des métaux :  le fer, le cuivre, le vanadium. Sans ces éléments, aux propriétés chimiques radicalement différentes des autres atomes des protéines, le transport serait quasiment impossible. Et la couleur de notre sang serait tellement moins saisissante !

 

Sources :

http://pages.usherbrooke.ca/bcm-514-bl/2d.html

http://moray.ml.duke.edu/projects/magnus/

Wikipedia (sang, hemocyanine, hemoglobine, hème,…) (en anglais et français)

« Solution Structure of Vanabin2, a Vanadium(IV)-Binding Protein from the Vanadium-Rich Ascidian Ascidia sydneiensis samea » Hamada et al. 2005, JACS, 127(12), 4216

Et merci à Taupo de ssaft.com pour les 2-3 infos que j’avais zappé !!

Le vitalisme est-il soluble dans la science (3) ? Du vitalisme scientifique, au vitalisme populaire…

Suite de la première et deuxième partie. Le vitalisme s’est imposé au cours du XVIIIeme siècle dans les milieux scientifiques médicaux, pour pallier les déficiences du modèle mécaniste, qui ne permet pas d’expliquer tout ce qui est observé par les physiologistes à l’époque. Au cours du XIXème siècle, c’est tout une autre histoire… Petit à petit, les progrès scientifiques en chimie et en biologie attaquent et remettent profondément en cause cette doctrine. On cite souvent en exemple la synthèse de l’urée par Wöhler en 1828 comme un premier coup dur pour le vitalisme : pour la première fois, on synthétise une espèce chimique issue de la matière vivante, à partir de composés « minéraux ». Le monde animé et le monde inanimé ne sont pas si opposé que cela, et il n’y a pas (nécessairement) besoin de « principe vital » pour passer de l’un à l’autre. Claude Bernard de son côté attaque le vitalisme par là-même où il s’est imposé : la physiologie. Ainsi estime-t-il que le vitalisme est un obstacle au raisonnement scientifique, et ré-affirme le principe même de la théorie mécaniste :

« Nous devons continuer nos études sans relâche et ne nous arrêter que lorsque nous serons arrivés à ramener aux lois physico-chimiques l’expression de tous les phénomènes de la vie » (Leçon sur les anesthésiques et l’asphyxie, 1875)

[Il faut noter cependant que pour lui, la base scientifique de la médecine est la physiologie. Il semble contre-productif de chercher à comprendre le fonctionnement du corps à partir de la physique chimie, même si les processus élémentaires de la vie y trouvent naturellement leurs explications]

D’autres fronts de lutte épistémologique apparaissent. En particulier, les travaux de Pasteur sur la génération spontanée sont vus par certains comme une résurgence d’un vitalisme : lui-même, parlant de ses expériences ne s’écrie-t-il pas en 1864: « Quelle victoire cela serait pour le matérialisme s’il pouvait démontrer que la matière pouvait s’auto-organiser et fabriquer la vie toute seule ! » Mais à partir de matière inanimée, la vie n’apparaît pas spontanément, comme on le pensait jusqu’alors. Le principe vital, absent des fioles stérilisées, ferait-il défaut à la matière minérale ?

Dans le même temps cependant, ce même Pasteur, en travaillant sur la fermentation, et les bactéries de manière générale, rapproche inéluctablement la biologie de la chimie, et peu à peu, les molécules du vivant sont synthétisés en laboratoire…

Et commence ainsi la lente agonie du vitalisme scientifique. L’hérédité, bientôt expliquée par des processus chimique à travers la génétique moderne et l’ADN, les grandes voies métaboliques liées à la photosynthèse ou la respiration anéantissent toute forme de distinction entre les processus de l’animé et les lois de la chimie de l’inanimé.  Plus rien ne reste propre à la vie ?

En ce début de XXème siècle, fait de grandes découvertes, certains remettent en question ce triomphe du « mécanisme ». Ainsi, l’embryogénèse pose par exemple de gros problèmes : comment, à partir d’une cellule, et sans « principe vital » pour servir de grand architecte, peut-on obtenir des organismes multi-cellulaires aussi complexes qu’un mammifère ? Il faut attendre 1936 et les travaux de Speman sur le centre organisateur pour expliquer rationnellement cette auto-organisation cellulaire. De son côté, Bergson essaie d’adapter un certain vitalisme aux sciences modernes. Son « élan vital » est une force organisatrice, permettant l’évolution au sens Darwinien du terme, mais s’épuisant peu à peu avec le temps et les nouvelles espèces engendrées. Théorie philosophique sans doute passionnante, mais qui n’inverse pas le cours de l’histoire des sciences biologiques. Le rationalisme mécaniste gagne encore et toujours du terrain.

Cependant, le vitalisme trouve en la personne de Wilheim Reich un véritable sauveur. Ici, je voudrais signaler qu’en réalité, c’est en m’intéressant à ce personnage que je me suis penché vers le vitalisme et son histoire.

Wilheim Reich

Alors, W. Reich est avant tout médecin psychiatre, puis psychanalyste, élève de Freud, travaillant en particulier sur la sexualité. Dans ce domaine, il s’illustre en particulier pour une libération sexuelle, et un égalitarisme homme-femme qui fait de lui un précurseur en cette première moitié du XXème siècle.  Fâché avec son ancien mentor, juif et communiste de surcroit, Reich quitte l’Allemagne pour la Norvège. Là-bas, il cherche à décortiquer méthodiquement ce qu’est l’orgasme. Et il en est sûr : la jouissance sexuelle conduit à une libération d’énergie plus importante que celle à laquelle on peut s’attendre avec les formes classiques d’énergie. « L‘orgone« , énergie biologique, est née. Néanmoins, en bon scientifique, W. Reich doute, réalise des expériences complémentaires, et a même une correspondance avec A. Einstein, pour lui soumettre ses protocoles expérimentaux permettant de mesurer cette énergie.

Le voilà ainsi déclarer  : « Le travail de tout organisme biologique [met] en évidence l’existence d’énergies gigantesques commandant toutes les manifestations de la matière vivante »

Il existerait donc des « bions« , vésicules non vivantes contenant l’orgone, pouvant se transformer en bactéries. Pris dans ses recherches et ses théories dont la scientificité est très douteuse, il est peu à peu exclu de toutes les sociétés savantes. L’orgone est caractérisée de façon très précise, et il existe désormais de l’orgone positive, qui permet de soigner des cancers, de l’orgone négative, néfaste pour la santé,…  Il prétend qu’à l’aide d’accumulateur d’orgone, il peut faire pleuvoir dans des régions désertiques, et tente des explications sur les formes spiralées des galaxies… Bon, il finit mal, et mourut en prison, suite à la mise en danger de ses patients, se soignant à l’orgone plutôt qu’à des médicaments réellement efficaces (Note de l’auteur : pour peu qu’en 1957 il y ait des médicaments efficaces contre les cancers…). C’est vrai qu’en plein McCarthysme, c’était pas une très bonne idée d’être communiste ET à la marge de la communauté scientifique reconnue.

Ses travaux n’eurent, globalement, aucun impact d’un point de vue scientifique, puisqu’en dehors de la psychanalyse, ils furent rejetés, sans aucun doute à raison. Par contre, on en subit encore, et toujours plus,  les conséquences. Oui, mesdames et messieurs, la « bioénergétique », c’est lui. Cette imposture scientifique, qui nous fait croire que la bioénergie ne circule pas bien dans notre corps, qu’il faut acheter des lampes de sel immondes pour détruire les mauvaises ondes (i.e. l’orgone négative), vient de ses travaux pseudo-scientifiques. Même les théories du complot sur les chemtrails (les traces laissées dans le ciel par les avions) s’inspirent en majeure partie de ses travaux sur l’orgone atmosphérique… Ce qui est dramatique, c’est que ce type de théorie très populaire creuse le fossé entre scientifiques, qui ont pourchassé Wilheim Reich parce qu’il n’était pas dans les clous, et le grand public, qui adhère à ces thèses bioénergéticienne. (En tout cas, si W. Reich avait breveté son concept de bioénergie, et qu’il touchait 1 euros par consultation de bioénergétique, parfois dispensée par des (vrais) médecins, il serait plus riche que B. Gates).

Un machin truc à l'orgone, sans doute hors de prix...

Le vitalisme a peut-être quitté la sphère scientifique quasi-définitivement, il n’en reste pas moins profondément ancré dans les sociétés. Il faut dire que se sentir  plus grand qu’une pierre, ça fait du bien.

Nota Bene : Wilheim Reich est aussi connu pour ses positions anti-totalitaires, qui en font un grand humaniste, résistant contre les dictatures européennes nazies ou staliniennes. C’est aussi l’auteur du livre « Ecoute, petit homme« , qui, sorti de son contexte de cabale contre son auteur à propos de l’orgone, est un pamphlet contre toutes les oppressions, politiques et idéologiques, et qui devrait être le compagnon de tous les hommes qui se battent pour la liberté politique et d’expression.

Le vitalisme est-il soluble dans la science (2) ? le vitalisme médical

Suite de la première partie. Avec le triomphe du rationnalisme et materialisme scientifique de Descartes, puis de La Mettrie, la théorie mécaniste de la vie a le vent en poupe. Si on met bien l’homme à part quelques fois, car il pose quelques problèmes à cause de son « âme », les êtres vivants semblent être de véritables machines, dont les rouages sont infiniment petits et complexes, mais dont on cherche à comprendre les lois. La mise au point d’automates particulièrement complexes, dont les plus célèbres réalisés par Vaucanson (le joueur de flûte, le canard qui mange, digère, et qui…) ressemble bien au triomphe de l’intelligence humaine mécaniste sur la nature.

Le canard de Vaucanson (1738) (wikipedia)

Mais la riposte s’organise. Il paraît insensé à certains de voir la vie réduite à ce point à des futilités matérielles. En particulier, G. Stahl, (medecin et chimiste (oui, le chimiste du phlogistique), dès 1707, réhabilite l’animisme, en réaffirmant l’existence de l’âme, comme principe moteur de la vie. Mais cette notion d’âme, trop riche de sens et d’interprétation alourdissait trop cette pensée. Paul Joseph Barthez, de l’université de Montpellier, a permis au vitalisme de s’affranchir de ces considérations métaphysiques. Il n’y a plus d’âme ni d’intervention divine, mais un « principe vital », qui est la cause de toute chose vivante. Il ne faut pas se tromper, c’est un discours dont la rigueur scientifique est exemplaire que présente Barthez : Il ne prétend pas savoir si ce « principe » est une substance, ou simplement un attribut des espèces vivantes; Il  « ne veux lui attribuer que ce qui résulte immédiatement de l’expérience » (Nouveaux Éléments de la science de l’homme, 1778). Il voit donc dans le « vitalisme » un moyen d’expliquer ce que, d’après son expérience médicale, le « mécanisme » n’explique pas. Marie-François Xavier Bichat, médecin et vitaliste lui aussi, adopte une posture scientifique rigoureuse en recherchant les éléments les plus fondamentaux abritant « la vie ». Et celle ci ne se réduit pas à une manifestation de la physico-chimie.

« La physique, la chimie se touchent parce que les mêmes lois président à leurs phénomènes. Mais un immense intervalle les sépare de la science des corps organisés, parce qu’une énorme différence existe entre leurs lois et celles de la vie. » ( Recherches physiologiques sur la vie et la mort, 1800)

Encore une fois, c’est au nom d’une démarche scientifique que le vitalisme est mis en avant.

Pour résumer (excessivement, certes), si le début du XVIIIeme siècle est « mécaniste »,  l’arrivée de scientifiques médecins cherchant à expliquer, sans y parvenir par la physique et la chimie, le fonctionnement du corps humain impose le vitalisme comme courant de pensée dominant à la fin du XVIIIème.

Avant de continuer ce déroulé historique, on peut proposer une définition du vitalisme : il s’agit de « Toute doctrine admettant que les phénomènes de la vie possèdent des caractères sui generis, par lesquels ils diffèrent radicalement des phénomènes physiques et chimiques, et manifestent ainsi l’existence d’une « force vitale » irréductible aux forces de la matière inerte » (A. Lalande, 1926)

La suite : le recul du vitalisme au XIX et XXème siècle

Le vitalisme est-il soluble dans la Science (1) ? Avant le vitalisme…

On ne peut séparer l’avancée des sciences de l’évolution de la pensée. Et si les théories scientifiques du XXème siècle ont mis à mal le déterminisme le plus pur, (par le principe d’incertitude d’Heisenberg, la théorie du chaos, ou encore le théorème de Göedel), la physique, la chimie et la biologie ont bouleversé, et bouleversent encore aujourd’hui la notion de « vie », d »animé » et d' »inanimé ».

Mais avant de regarder de plus près la situation actuelle, où la biologie moléculaire tente de rationnaliser tous les processus de la vie, essayons de retracer l’évolution de deux concepts philosophiques clés pour la lecture des sciences du vivant: le vitalisme et son opposée, la théorie mécaniste.

Avant le XVIIème siècle, les réflexions autour du vivant étaient fortement teintées de finalisme (la fin d’un être vivant, c’est de vivre, et il est donc fabriqué, organisé pour cela) et/ou d’animisme (tout ce qui est autour de nous est vivant, depuis l’être humain jusqu’à la rivière, en passant par l’orchidée de ma grand-mère). Pour Aristote (dont les concepts philosophiques ont largement dominé la pensée occidentale jusqu’à la renaissance), la « main » ressemble à cela parce qu’elle est faite pour saisir;  l’oeil est tel qu’il est parce qu’il doit permettre la vision; l’être vivant est tel qu’il est parce qu’il doit vivre. Cette conception nous paraît complètement naïve et insuffisante, mais disons qu’à l’époque, c’était déjà mieux que rien.

Avec l’arrivée de la renaissance, les sciences, et le rationalisme prennent un nouvel essor : grâce à Galilée notamment, la mécanique se voit pourvue de lois qui permettent d’expliquer les mouvements, et même les astres y sont soumis. les horloges sont constituées de mécanismes de plus en plus sophistiqués.  Pourquoi les êtres vivants, animés comme le peuvent être les automates ou un objet qui tombe, échapperaient à ces lois qui régissent le monde ?

Apparaît donc  « l’animal-machine » de Descartes : les êtres vivants, (humains à part) sont des machines (dépourvues d’âme), qui fonctionnent selon le principe de causalité :

« Je ne reconnais aucune différence entre les machines que font les artisans et les divers corps que la nature seule compose, sinon que les effets des machines ne dépendent que de l’agencement de certains tuyaux, ou ressorts, ou autres instruments, qui, devant avoir quelque proportion avec les mains de ceux qui les font, sont toujours si grands que leurs figures et mouvements se peuvent voir, au lieu que les tuyaux ou ressorts qui causent les effets des corps naturels sont ordinairement trop petits pour être aperçus de nos sens.  » [ Les principes de la philosophie, 1644]

René Descartes (Wikipedia)

Il est à noter que pour Descartes, l’Homme est non réductible à un animal intelligent, et il l’exclut de ces discussions, grâce à la notion d’âme et au dualisme corps-âme. voir ici pour des extraits d’ouvrages.

Dans la foulée, d’autres philosophes abondent dans cette théorie mécaniste, et en particulier De La Mettrie. Ce dernier réfute (même) la notion d’âme, pour  parler « d’homme-machine » (1748).  Même nos pensées, et le language (propre à l’homme selon Descartes) dérivent du fonctionnement parfaitement rationnel de notre cerveau. La vie, et même la pensée ne sont plus que la succession d’actes mécaniques de machines infiniment sophistiquées.

Julien Offray De La Mettrie (Wikipedia)

Et le vitalisme, dans tout cela ? En fait, si cette notion n’avait pas d’intérêt avant le mécanisme, elle va apparaître en opposition à celui-ci : comment réduire la vie à une machinerie bassement matérialiste, qui, finalement, ne distingue l’animé de l’inanimé que par sa complexité  ? Ne faut-il pas une chose de plus à la matière pour prendre vie ?

Pour vous faire patienter un peu , voici comment le Dr Frankenstein donne cette chose de plus sous la forme d’électricité et d’éclair à sa créature, pour lui donner la vie :

 

Note au lecteur :

Vous pourrez trouver de bien meilleurs « cours » sur l’animal-machine de Desccartes, ou sur la philosophie du vivant d’Aristote sur le web (Ici par exemple, ou  , ou un peu partout en tapant les bons mots clés). Je ne prétend pas me hisser au niveau de la plupart des apprentis/enseignants philosophes sur internet. J’espère ne pas avoir dénaturer certaines idées de ces penseurs illustres (Et j’attends vos remarques et mises au point si c’est le cas). J’espère aussi avoir été plus concis que la moyenne, et avoir rendu correctement les éléments clés pour la compréhension de mes prochains billets sur le vitalisme, depuis son apparition comme opposition au rationalisme mécaniste jusqu’au XXIème siècle, où il occupe encore une place centrale dans la philosophie des sciences biologiques.

A suivre : Le vitalisme du XVIIIème siècle : le vitalisme médical

Retour sur la chimie prébiotique, S.Miller et les autres… (2)

Alors comme ça, l’expérience de S. Miller, qui a le mérite de tester une hypothèse intéressante de constitution de la « soupe primitive » grâce à l’atmosphère terrestre, ne correspond sans doute pas à la réalité de la Terre de l’époque (voir la première partie). Il faut chercher plus loin. Ou plus profondément. Si ce n’est pas dans le ciel, reste la terre ferme et l’eau. La terre, on oublie : il faut que les molécules puissent se déplacer au grès de leur formation, s’accumuler par endroit, diffuser ailleurs, ce qui va être impossible sur un support solide.

Depuis environ trente ans, on se pose ainsi la question de la formation de molécules organiques prébiotiques dans l’eau. Plus précisément, ce sont les sources hydrothermales qui suscitent le plus d’intérêt.

Alors il faut bien imaginer l’enfer que représente ces sources, appelées aussi fumeurs noirs : de l’eau de mer s’est infiltrée jusqu’à plusieurs centaines de mètre sous la roche, se réchauffant à proximité du magma terrestre, et remonte à des températures supérieures à 350 °C, des pressions de plusieurs centaines de bars, en ayant au passage dissout diverses substances minérales. En voilà un joli schéma (voir aussi le site de l’IFREMER)

En fait, ces conditions extrêmes ne sont pas réellement un obstacle à la vie . En témoigne les vidéos, photos prélèvement qui ont été effectués depuis les premières observations en 1977 (voir la photo suivante, et les colonies d’anémone blanche au pied de la source hydrothermale). Crevettes, vers géants côtoient étoiles de mer et poissons… Tout ce petit monde fonctionne grâce à la chimiosynthèse (basée sur  l’exploitation de l’énergie chimique des composés issus des fumeurs), par opposition à la photosynthèse (basée sur l’énergie lumineuse). Alors, pourquoi ne pas chercher là-bas les traces des premières molécules organiques ?

Ne faisons pas durer le suspense plus longtemps. Pour beaucoup de scientifiques, cela ne fait pas de doute: la vie est née à proximité de ces sources hydrothermales, dans l’obscurité, à une profondeur comprise entre 500 et 5000 m.

Et les arguments ne manquent pas : les conditions d’expériences de S. Miller, ces mêmes qui ont conduits aux acides aminés, se retrouvent dans les émanations de ces sources chaudes. En effet, on a bien du méthane, du dihydrogène, de l’eau, peu de CO2. Pas de lumière UV, ou de décharges électriques, mais de l’énergie thermique autant qu’on veut.

[Le problème de cette énergie thermique, c’est qu’à ces températures là (300°C) , les acides aminés et autres briques élémentaires de la vie sont très vites dégradés. Mais il ne faut pas oublier que l’eau tout autour des fumeurs est à 2°C, et que des échanges existent évidemment, ce qui, pour moi, permet de lever cette objection].

Tout comme l’expérience de Miller alors ? Non, encore mieux. Non seulement la variété des éléments chimiques disponible est beaucoup plus grande que dans l’atmosphère imaginée à l’époque (avec en particulier des apports en souffre, indispensables pour certains acides aminés comme la cystéine), mais en plus, on a plein de métaux et de minéraux variés présents. Ceux-ci peuvent servir alors de catalyseurs de réactions chimiques plus avancées, permettant, à partir de quelques molécules organiques simples, obtenir des assemblages complexes nécessaires.

[En particulier, compte tenu des propriétés catalytiques de la pyrite,  G. Wächterhauser et son équipe a imaginé des premiers êtres vivants qui ne seraient pas cellulaires, mais utiliseraient directement leur support, la pyrite, pour réaliser les réactions nécessaires à l’auto-réplication.]

Les scientifiques ont eu déjà la joie de découvrir des composés organiques  dans les fumeurs, et de plus de démontrer leur production abiotique (produite sans intervention d’espèces vivantes) (Source). Bien sûr, dans ce domaine, rien n’est parfaitement sûr, et en particulier les chemins détournés empruntés par la vie pour émerger ne sont pas connus. Les expériences in vitro sont compliquées, tant les conditions au niveau des sources hydrothermales sont dures. Quant aux observations directes, elles sont délicates à – 2000 m !

Il y a un point encore non évoqué ici qui est en faveur des sources hydrothermales : Dans les documents évoquant la chimie prébiotique et l’expérience de S. Miller, on se focalise sur les acides aminés, briques des protéines. On oublie complètement une idée très importante : les protéines ne peuvent pas, ou de façon très (trop) complexe, contenir un code génétique lisible. Cela, c’est  l’apanage de l’ADN, ou de l’ARN. Et un consensus de plus en plus large plaide vers une apparition de la vie basée sur l’ARN, qui pourrait à la fois contenir le « code », et être capable de le lire, traduire, répliquer (Voir ici pour les propriétés catalytiques de l’ARN). Les expériences dans différentes atmosphères ont complètement échoué dans la formation des briques élémentaires de ces longues macromolécules, sauf en faisant intervenir des situations complexes où des minéraux terrestres rentrent en jeu par le biais de précipitation et évaporation de l’eau de pluie (voir à ce sujet le joli billet d’exobiologie.info )… Et il me semble qu’il est plus simple d’imaginer la synthèse de ces précurseurs à un endroit où, en permanence, se trouve les catalyseurs et les matériaux inorganiques nécessaires pour leur formation.

Bien sûr, les questions restent innombrables, et en particulier celle de la chiralité des espèces chimiques du monde vivant, mais l’essentiel semble être là. Tout est réuni pour que la vie naisse là, au coeur des océans.

Bon et après la constitution de cette soupe ? La suite, c’est l’auto-organisation, (déjà évoquée ici sur ce blog) puis…. le premier être vivant ?

PS : les amateurs d’exobiologie apprécieront particulièrement cette origine de la vie : en effet, pour ne citer que le plus connu, le satellite Europe de Saturne possède un immense océan, (sous 20 à 200 km de glace), qui pourrait abriter des sources hydrothermales. A quand une tentative de dialogue « homme de la Terre » -« crevette de Europe » ?

Sources :

Retour sur la chimie prébiotique, S. Miller et les autres…(1)

J’ai été très heureux de voir ce sujet de la chimie prébiotique (la chimie qui a permis à la vie d’apparaître) traité par les amis de www.podcastscience.fm, et de scienceetonnante.wordpress.com. J’aimerais y apporter ma petite contribution de (ex-) chimiste organicien.

Un certain consensus se dégage depuis grosso modo un siècle : la vie serait née d’une « soupe primitive », constituée d’un mélange désorganisé d’espèces chimiques complexes, qui, aurait peu à peu accédé à une certaine forme d’organisation, jusqu’à l’apparition d’un processus d’auto-réplication de macromolécules contenant un code génétique primitif.

Dans ce court paragraphe précédent résident toutes les grandes questions que se posent la chimie prébiotique. Comment s’est formée cette « soupe primitive », et de quoi elle est constituée ? Comment ses composants ont pu s’auto-organiser ? Quelles molécules ont pu acquérir ces propriétés auto-réplicantes nécessaires à une vie primitive, et dans quelles conditions ?

Aucune réponse définitive n’est apportée à chacune de ces questions. Et la diversité des hypothèses envisagées est immense.

Revenons ici sur la question de l’origine des composés de la soupe primitive. Oparine et Haldane ont proposé l’hypothèse géniale que les composés organiques à la base des êtres vivants, et en particulier les acides aminés (briques élémentaires des protéines, qui sont elles-mêmes, pour simplifier, les usines qui font fonctionner la moindre des cellules) pouvaient provenir de matière inorganique (en particulier présent dans une atmosphère primitive terrestre), activée par le rayonnement solaire. Une jolie hypothèse, qui a pu être éprouvée en 1953 par la célébrissime expérience de S. Miller et Urey, dont j’ai piqué à wikipedia le schéma :

Dans le ballon à gauche, est reproduite ce qu’on estimait être la composition de l’atmosphère primitive de la Terre, parcourue par des éclairs provoquées par des émectrodes (pour faire comme les éclairs). Et le résultat a été à la hauteur des espérances : tout plein d’acides aminés, et d’autres molécules organiques indispensables à la vie…

CQFD ?? Ben pas vraiment. En fait, pas du tout. Certes, il était démontré une nouvelle fois que les molécules de la vie pouvaient être issues de matière inorganique, ce que l’on sait depuis 1828 et la synthèse de l’urée par Wöhler. Plus précisemment, l’atmosphère primitive, « activée » par les éclairs, a permis la synthèse d’acide cyanhydrique et de formaldéhyde, qui permet de former des acides aminés par la synthèse de Strecker, et tout ça à partir de méthane, dihydrogène, monoxyde de carbone, eau, et ammoniac.

Oui, sauf que voilà, il y a d’immenses chances pour que la composition de l’atmosphère primitive réelle ne ressemble pas du tout à cela. Au lieu d’un mélange ammoniac, méthane, dihydrogène, monoxyde de carbone (NH3, CH4, H2, CO), on aurait plutôt eu un mélange diazote, dioxyde de carbone et eau (N2, CO2, H2O).

En fait, alors que N2, CO2 et H2O sont très stables, l’ammoniac NH3, et le méthane CH4 sont rapidement dégradés dans l’atmosphère sous les rayonnements solaires. Quant au dihydrogène H2, trop léger, il a tendance à s’échapper rapidement de l’attraction terrestre… Si dans ces deux hypothèses les éléments chimiques présents sont les mêmes, la seconde est donc constituée de gaz stables, ce qui en fait l’hypothèse généralement admise. Le soucis, c’est que dans ce cas, l’expérience de S. Miller ne fonctionne pas, même en remplaçant les décharges électriques par un intense rayonnement UV.

Les partisans fervents de Miller et Oparine ont néanmoins une petite parade. Il se trouverait qu’éventuellement on pourrait peut-être faire l’hypothèse qu’après l’énorme collision entre la Terre et un astéroïde de la taille de Mars, qui a permis la formation de la Lune, on ait eu un équilibre précaire durant quelques millions d’années permettant la compensation de la perte de ces gaz (CH4, NH3, H2) par, en particulier, un apport extérieur lié à un bombardement intense de la terre par des météorites… (Source sur l’atmosphère primitive)

Tout tombe à l’eau… Au sens figuré, mais aussi au sens propre. Si ce n’est pas dans l’atmosphère que s’est produite la synthèse des premières briques de la vie, cela pourrait être sur la terre ferme (hypothèse très peu vraisemblable, compte tenu du besoin d’eau, de concentration, mais aussi de migration des espèces chimiques), ou dans l’eau liquide.

La suite hydrothermale au prochain épisode…

Lire aussi et par exemple (C’est hélas très incomplet et très rapide, comme toutes les sources que j’ai consulté…) : Les premiers pas de la vie sur Terre ; Chimie prébiotique,…