Les chimistes vous le diront : obtenir des composés organiques sous forme cristalline relève plus de l’art que de la technique. Oh, il existe des méthodes, nombreuses, toutes les plus ingénieuses les unes que les autres… Mais à savoir celle qui va marcher…
En général, à la fin d’une purification, les produits, censés être solides, se retrouvent sous forme d’une sorte d’huile. En attendant un peu, beaucoup (à la folie parfois !), ou en grattant le récipient à l’aide d’une spatule en métal, ou d’une baguette en verre (ce n’est pas pareil !), ou en ajoutant des solvants dans lesquels les produits sont plus ou moins solubles, on espère créer les conditions favorables à la transformation de ce liquide visqueux en solide. Un jour, je parlerais de toutes ces techniques, et des nombreuses prières que j’ai adressé aux dieux des cristaux pendant mes années en laboratoire…
Le mysticisme qui entoure la cristallisation de ces huiles est telle qu’un chercheur m’a un jour déclaré :
C’est dingue : on galère comme des malades pour cristalliser les nouveaux produits. Par contre, un produit qui a été synthétisé dans ce labo, même si c’était 10 ans en arrière, il cristallise immédiatement.
Bon, bref. Revenons à la publication.
En pharmacie, l’obtention des composés sous forme cristalline est une étape critique. Et si on sait créer et utiliser des inhibiteurs, on manque cruellement de promoteurs de cristallisation. Des chimistes de l’Université du Michigan (USA) présente dans cet article une nouvelle approche pour inventer des promoteurs :
Pour inhiber la cristallisation d’un produit présent dans un solvant dans lequel il est insoluble, il faut augmenter sa solubilité. Pour cela, on peut, par exemple ajouter une autre espèce chimique, elle parfaitement soluble, qui va se lier au produit, et ainsi le maintenir en solution. C’est ni plus ni moins le rôle du savon qui permet de solubiliser la graisse dans l’eau de la douche ou de la vaisselle !
Ici, les chercheurs se sont inspirés de ces inhibiteurs, mais au lieu de les laisser en solution, ils les ont fait polymériser, et fixés sur un support solide. Cette fois, les liaisons inter-moléculaires ne sont pas facteurs de solubilisation, mais au contraire, pré-organise les molécules, et favorise la nucléation, c’est-à-dire des premiers germes cristallins.

A gauche : les molécules d’intérêt (en bleu) sont liés (liaisons pointillées rouge) aux inhibiteurs de cristallisation (gris), et restent en solution (de façon désorganisée)
A droite : les « inhibiteurs » sont réunis sous forme d’un seul polymère permettent l’organisation du composé d’intérêt
En utilisant comme le paracétamol et l’acide méfénamique (le « Ponstyl ») comme composés modèles, les chercheurs ont ainsi montré que la vitesse de cristallisation était considérablement augmentée (jusqu’à 100 fois plus grande) en présence du polymère correspondant.
« Controlling Phramaceutical Crystallization with Designed Polymers Heteronuclei » L. Y. Pfund et al. J. Am. Chem. Soc. 2015, 137 (2), 871-875