Les sciences physiques et chimiques sont omniprésentes dans la cuisine. Simplement parce que ce que l’on mange, c’est un amas organisé de milliards de produits chimiques, qui tous ensembles donnent à nos aliments goûts, odeurs, textures.
Quand on fait de la cuisine, quand on prépare un bon plat, on fait un nombre incalculable de transformations.
Regardons quelques exemples, sous la forme d’un plat unique et un dessert
On va regarder au plus près d’une belle tranche de rôti de bœuf accompagné de pâtes al dente.
Commençons par le plus simple : la cuisson des pâtes. Oui, parce que lors de la cuisson de pâtes, il ne se passe vraiment pas grand chose. La preuve ? Prenez des coquillettes, faites les cuire dans un grand volume d’eau. Egouttez les, puis… Faites les sécher ! Vous obtiendrez les coquillettes dans le même état qu’avant la cuisson (ou presque, hein, faut pas être difficile) !
En fait, il n’y a pas de transformation chimique, mais simplement une transformation physique : ce qui constitue l’essentiel des pâtes, c’est de l’amidon , c’est à dire une très longue chaîne dont les maillons sont des molécules de sucre. Sans eau, ces chaînes s’attirent les unes les autres et forment un réseau. Ce qui explique que les pâtes sont dures. Dès qu’on y ajoute des molécules d’eau, celles-ci vont pouvoir s’intercaler entre les chaînes d’amidon, et ainsi les désolidariser. On obtient ainsi des pâtes gorgées d’eau, souples, mangeables, quoi! Et si on a besoin d’eau bouillante, c’est simplement pour accélérer cette transformation. Mais, même si je n’ai jamais réellement essayé, je suis sûr qu’on pourrait obtenir le même résultat, beaucoup plus lentement, avec de l’eau tiède !
Passons au rôti. J’ai choisi cet exemple parce qu’au contraire des pâtes, on est dans un système drôlement complexe. Et puis parce que c’est très bon. J’ai essayé le steak de soja, c’est presque aussi complexe, mais c’est nettement moins bon. Mais passons à l’essentiel : que se passe-t-il lorsqu’on fait cuire un morceau de viande ?
La question est simple à poser, il est beaucoup plus difficile d’y répondre :
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La texture change : elle devient plus facile à couper, moins élastique ;
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Le goût change : c’est pourquoi certains aiment ou pas la viande bien cuite, c’est évident ;
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La couleur change : si on prend un bon steak, d’une couleur rouge sombre, on obtient une viande marron, assez uniforme, et même de jolies couleurs dorées en surface.
On peut même aller plus loin : en fonction de la température de cuisson, en fonction de l’ajout ou non de matières grasses, de l’ajout ou non d’eau, on n’aura ni la même texture, ni le même goût, ni la même couleur !
En apparté, en France nous sommes so-phis-ti-qués. Nous aimons des rôtis cuits à l’extérieur, et quasiment crus à l’intérieur. Si on compare la cuisson à la française, avec la cuisson à l’anglaise, on se rend compte que la température au cœur du rôti ne dépasse pas en général 30°C en France, alors qu’elle est de 60 à 80 °C au Royaume-Uni. Je crois que cela résume assez bien la supériorité gastronomique française.
Revenons au rôti.
Ce qui nous intéresse, nous, consommateurs, c’est qu’il reste bien tendre. Or la tendreté est une sensation, et il est donc très difficile de la mesurer.
Néanmoins, plusieurs paramètres objectifs peuvent être dégagés. Comme pour une pièce détachée dans l’automobile, les scientifiques ont mesuré l’influence de la température sur la résistance mécanique, la résistance au cisaillement, l’élasticité…
Bref, on s’est rendu compte qu’une des clés de la tendreté de la viande réside dans le collagène. Le collagène, c’est la protéine la plus abondante dans le corps humain, et elle recouvre les fibres musculaires. Dans la viande crue, elle sert de lubrifiant, et plus il y en a, plus elle est tendre.
Lors de la cuisson, cette protéine se dénature et devient… de la gélatine ! La viande devient plus tendre encore… Oui, mais dans le même temps, les fibres musculaires perdent de leur élasticité, ce qui complique considérablement les choses.
Bref, restent aux scientifiques les constatations purement expérimentales : pour un rôti bien tendre, la température idéale semble si situer à 55 degrés C, plus ou moins 1° ! [Ce qui pose un autre problème : la température n’est pas suffisamment élevée pour se prémunir d’un développement bactérien important]
La couleur du rôti dépend du principal colorant de la viande, à savoir l’hémoglobine contenue dans les globules rouges du sang. Vers 60 °C, celle-ci se dégrade et change de couleur… Pourtant, dès 40°C, la couleur du rôti s’éclaircit, et perd de son éclat, de sa brillance… En cause, la modification d’autres constituants, à plus basse température, qui vont agir sur cette hémoglobine, et la faire précipiter dans les tissus, altérant aussi sa couleur.
Reste le meilleur: le goût. Il faut savoir que dans les sciences de la cuisine, on ne s’intéresse pas aux goûts, mais à la « flaveur » des aliments, à savoir le goût ET l’odeur.
Pour un aliment comme le rôti, il y a des milliers, des millions de produits qui vont se modifier au cours de la cuisson. Toutes les grandes familles de composés vont y contribuer :
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Les lipides vont s’oxyder avec la température, donnant des composés de type cétones, desaldéhydes;
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les glucides vont… Caraméliser. Pour faire simple, la caramélisation correspond à une polymérisation, c’est-à-dire que les molécules deglucose, de fructose vont former des chaînes plus ou moins ramifiée, plus ou moins longues, et en même temps, relarguer de petites molécules odorantes volatiles.
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Et enfin les protéines. Ou plutôt les acides aminés qui les constituent. Ces petites molécules vont réagir avec les sucres, pour donner une très grande gamme de composés odorants. Cette réaction a été assez bien décrite, et est appelée Réaction de Maillard. C’est une réaction qui fait intervenir de nombreux intermédiaires, mais ce qu’il faut retenir, c’est que chaque acide aminé (et il y en a à peu près 22) va permettre la formation de nombreux composés volatiles odorants. C’est dire la complexité de la flaveur du rôti à la fin de la cuisson !! Par ailleurs, vous connaissez sans aucun doute la couleur dorée du rôti qui a été saisi en début de cuisson ? C’est aussi dû à la réaction de Maillard, qui forme aussi des pigments bruns, appelés mélanoïdines.
Pour conclure, on va passer au dessert. Vous avez sans aucun doute déjà entendu parler de « gastronomie moléculaire » ? J’ai essayé, au cours de cette petite intervention, de ne pas utiliser ce terme. En voici la raison. On vient de voir qu’un simple rôti est déjà un système physico-chimique ultra-complexe. On peut l’étudier, et c’est le cas, mais on se retrouve le plus souvent à faire des constatations expérimentales, plus ou moins interprétables. Et encore, je n’ai pas parlé de l’influence du mode de cuisson, de la présence d’eau et / ou d’huile, et de la façon dont le rôti a été coupé dans le muscle !!
Alors c’est quoi, la gastronomie moléculaire ? C’est de la petite chimie et de la petite physique. Grâce à des additifs ultra-simples et ultra-purs, on va modifier un ou deux paramètres : la température (lorsqu’on joue avec de l’azote liquide), l’élasticité (lorsqu’on va provoquer une gélification d’un liquide)… Bref, un grain de sable au milieu d’une immense plage des possibles en cuisine. Une mode, finalement…
Cela donne souvent un résultat surprenant, mais finalement, qu’est-ce qui pourra remplacer un bon rôti, bien cuit, bien saignant ?