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[Flash Info Chimie] #47 Les chaperones pharmacologiques : un nouvel outil thérapeutique pour maladie incurable

Certaines maladies sont liées à l’accumulation anormale de biomolécules (comme les protéines ou les lipides), qui s’agrègent dans les tissus, les empêchant de remplir leur fonction normale. C’est par exemple le cas de la maladie de Gaucher, où un sphingolipide, le glucocérébroside, s’accumule dans les tissus nerveux. C’est aussi le cas pour la cataracte, maladie qui touche 70 % des personnes de plus de 70 ans, qui se manifeste par l’opacification du cristallin, conduisant à la cécité. Cette opacification est liée à l’agrégation anormale des protéines qui constituent le cristallin. D’autres accumulations et agrégations de protéines (tout particulièrement de la protéine tau) sont aussi impliquées dans des maladies neurodégénératives…

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines -α-crystalline.

Oeil humain touché par la cataracte. Le cristallin devient progressivement opaque, par agrégation des protéines alpha -crystalline.(source : wikipédia)

Les chaperones pharmacologiques sont des molécules qui vont permettre d’agir sur ces biomolécules, pour restaurer leur solubilité dans les tissus. C’est-à-dire qu’au lieu de s’agréger, et former des résidus solides pathologiques, elles vont pouvoir rester sous forme dissoutes dans les fluides présents. Le principe de fonctionnement réside simplement en la liaison entre ces chaperones et la biomolécule, créant ainsi une nouvelle entité qui ne peut plus s’agréger aussi facilement…

Dans un article récent paru dans le journal Science, L. N. Makley de l’Université du Michigan et son équipe, font état d’une nouvelle méthodologie pour identifier des chaperones pharmacologiques permettant de re-solubiliser les biomolécules agrégées.

En effet, ils ont étudié les points de fusion « apparents »* des agrégats de la protéine α-crystalline, (responsables de l’apparition de la cataracte), avec, ou sans chaperone. Parmi les 2446 molécules candidates, 32 permettaient d’abaisser le point de fusion de 72 °C à moins de 70 °C. Une chaperone finale a été retenue, et testés sur des cristallins de souris touchés par la cataracte, et qui ont vu leur transparence partiellement restaurée.

la molécule chaperone ("compound 29") au coeur d'un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion plus faible que la protéine seule.

la molécule chaperone (« compound 29 ») au coeur d’un modèle de la protéine ciblée. Cet assemblage a un point de fusion apparent plus faible que la protéine seule. (source)

Au delà des progrès médicaux que cela inaugure pour le traitement non chirurgical de la cataracte, cet article, qui traite davantage de la méthodologie de recherche de chaperone pharmacologique que de cette maladie particulière, apporte la preuve qu’il est possible de chercher rationnellement des composés pouvant agir directement sur les agrégats de biomolécules, et ainsi restaurer les fonctions des tissus des organes touchés.

* Il s’agit en réalité de la température de re-solubilisation des agrégats dans la solution étudiée.

« Pharmacological chaperone for α-crystallin partially restores transparency in cataract models » L.N. Makley et al. Science 2015, 350 (6261), 674-677.

[Flash Info Chimie] #46 Les dispersants chimiques censés lutter contre les marées noires sont contreproductifs

Lors de la marée noire provoquée par la plateforme Deepwater Horizon, des millions de litres de « dispersants chimiques » ont été déversés au niveau des nappes de pétroles qui dérivaient dans l’océan Atlantique. Ces dispersants, composés d’un mélange d’émulsifiants et de solvants ont pour action de fractionner les nappes en micro-gouttelettes. Ces micro-gouttelettes peuvent se disperser plus aisément, se répartissent dans tout le volume d’eau au lieu de rester exclusivement en surface. Elles présentent également une plus grande surface de contact avec leur environnement, ce qui est censé accélérer le processus de biodégradation du pétrole.

Épandage du dispersant chimique "Corexit" (Wikipédia)

Épandage du dispersant chimique « Corexit » (Wikipédia)

En décembre 2015, une équipe de recherche a publié un article alarmant sur les conséquences de l’utilisation de dispersants dans le Golfe du Mexique suite à la marée noire de Deepwater Horizon.(1) D’après les recherches de Sara Kleinstienst, de l’université de Georgie et ses collègues, les dispersants utilisés sont même contre-productifs. En effet, ils ont constaté que la dégradation du pétrole par les micro-organismes, qui se traduit par l’oxydation des hydrocarbures qui le compose est considérablement ralentie par l’ajout des dispersants.

Comparant les populations des micro-organismes qui dégradent ces hydrocarbures, les scientifiques se sont rendus compte qu’elles augmentaient en présence de pétrole brut, mais au contraire diminuait lorsqu’on y ajoutait des dispersants chimiques. En fait, la présence de ces dispersants favorise les micro-organismes qui les dégradent EUX, au détriment des micro-organismes qui dégradent les hydrocarbures…

Ce n’est pas la première fois que les dispersants chimiques sont pointés du doigt. De nombreuses études ont mis en avant les doutes qui existent quant à son innocuité vis-à-vis des travailleurs qui les manipulent, vis-à-vis des organismes marins, etc… D’autre part, leur efficacité n’a pas toujours été à la hauteur des attentes des autorités, et des entreprises pétrolières. (2)*

Un certain nombres de pays européens, exposés au risque de marée noire, a fait des réserves stratégiques du même type de dispersants que celui utilisé pour Deepwater… En cas de catastrophe, ne faudra-t-il pas les laisser au hangar ?

*Il faudrait faire une étude exhaustive sur le sujet. Dans la notice Wikipédia, on peut lire qu’en 2010, une méta-analyse du fabriquant du dispersant montrait une relative faible toxicité. Mais en 2012, une nouvelle étude montrait elle une augmentation nette de la toxicité du pétrole lorsqu’il était en présence de dispersants, et en 2013, une autre étude montrait une élévation du taux de cancers chez les travailleurs qui manipulent ces produits. Encore en 2013, un article dans PLOS One décrivait les effets toxiques de dispersant chez les coraux…

(1) « Chemical dispersants can suppress the activity of natural oil-degrading microorganisms » S. Kleindienst et al. PNAS 2015, 112(48), 14900-14905

(2) Wikipédia : « Corexit » (nom du dispersant chimique utilisé) et « Oil Dispersant »

 

[Flash Info Chimie] #45 Abracadabra, un peu de lumière, et d’un triangle, je fais un petit rhombicuboctahèdre !

Parfois, il suffit de peu de choses pour transformer drastiquement des composés en d’autres, de formes, de tailles complètement différentes. Les composés à l’honneur dans cet article en sont un exemple parfait.

Il s’agit ici de complexes de palladium, c’est-à-dire des assemblages moléculaires constitués d’un ion palladium Pd2+, entouré de molécules organiques plus ou moins complexes, appelés ligands. Les complexes de palladium sont très utilisés en chimie fine, comme catalyseurs d’une grande variété de réaction chimique. Ici, les ligands sont un peu particuliers : non seulement ils peuvent se lier à deux ions Pd2+ simultanément, mais en plus, ils sont sensibles à la lumière : sous certaines irradiations, ils vont se transformer, légèrement, mais suffisamment pour engendrer de grandes modifications de l’architecture de l’assemblage moléculaire.

Ces composés, dits photochromiques, vont changer de structure sous une irradiation à 313 nm, ce qui va écarter légèrement les atomes (d’azote ici, N) sur lesquels se fixent les ions palladium. En les irradiants à nouveau, à 617 nm, on peut obtenir à nouveau le composé de départ.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d'azote (N sur les schéma) s'éloignent de façon nette lors de cette transformation.

La différence entre ces deux formes consiste en la liaison supplémentaire qui est formée entre les deux cycles contenant chacun un atome de souffre. On remarque que les deux atomes d’azote (N sur les schéma) s’éloignent de façon nette lors de cette transformation (source).

 

Spontanément, les ions Pd2+ et leurs ligands forment des sortes de trimères, des jolis triangles parfaitement stable. Mais sous l’effet de la lumière à 313 nm (UV proches), les ligands se transforment, ce qui conduit à la formation d’un petit rhombicuboctaèdre (je dis « petit », parce que d’après Wikipédia, il faut bien le distinguer d’un « grand rhombicuboctaèdre », qui n’a pas du tout la même structure (voyons !)). Et de la même manière, sous irradiation à 617 nm, on retrouve le petit triangle initial.

 

structure

Les boules grises symbolisent les ions palladium. En jaune, les atomes de souffre, en vert les atome de fluor, en violet les atomes d’azote (source)

Il s’agit ici d’un article qui n’a pas prétention à proposer des applications. Néanmoins, passé l’émerveillement pour la beauté des structures obtenues, il apparaît que ces complexes photochromiques, qui changent totalement de forme et de structure sous irradiation pourrait avoir, dans un avenir certes assez lointain, des applications en médecine (relargage contrôlé par de la lumière d’un médicament contenu dans la « cage » que forme le rhombicuboctaèdre), catalyse, ou encore en électronique moléculaire.

 

« Light-Controlled Interconversion between a Self-Assembled Triangle and a Rhombicuboctahedral Sphere » M. Han et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2015, 54, Early Edition

[Flash Info Chimie] #44 Liquide poreux, le retour

En avril 2015, je vous présentais les « liquides poreux« , ces liquides qui, tels les solides, présentent des cavités pouvant accueillir d’autres molécules. Pour être précis, on parle ici de micro-porosité permanente :

  • micro-porosité pour indiquer qu’il ne s’agit pas de la porosité liée à l’espace entre les molécules dans le liquide, qui est si faible qu’un atome ne peut même pas s’y glisser.
  • permanente, pour indiquer qu’il ne s’agit pas de cavité qui se forment et disparaissent au gré des mouvements ou des réactions chimiques dans le milieu

Dans un article paru il y a quelques jours dans Nature, un nouveau liquide poreux est présenté. Contrairement à celui que je vous avais présenté précédemment (où il s’agissait de nanosphères de silice), l’équipe nord-irlandaise a mis au point une molécule ressemblant à une cage, entourée de larges molécules (des éther-couronnes, pour les connaisseurs) pour éviter que la cavité, au centre de la cage, soit bouchée par un morceau d’une autre cage.

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

La molécule cage, qui tire sa rigidité permettant la porosité permanente de sa géométrie : un gros tétraèdre en gris/bleu/blanc, décoré par des éther couronnes en gris/rouge

 

En utilisant un solvant très encombré (en fait, un autre ether-couronne), trop gros pour pouvoir pénétrer dans les cages, ils ont ainsi obtenu un liquide très poreux, dont les cavités sont susceptibles de contenir des gaz comme du CO2, du méthane, du xénon.

Les quantités « stockables » sont mineures comparés aux meilleurs solides poreux, mais l’état liquide a un gros avantage : il est adapté à la plupart des procédés industriels de traitement des gaz, où un liquide va solubiliser le gaz dans une première zone, l’amener via tuyauterie dans un autre compartiment où le gaz pourra être relargué, avant de retourner dans la première zone. Et ça, ce n’est pas gérable avec des solides !

« Liquids with permanent porosity » N. Giri et al. Nature 2015, 527, 216-220

[Flash Info Chimie] #43 Amplification de la chiralité par une surface achirale

La plupart des molécules du vivant pourraient exister sous deux formes appelées énantiomères : images l’une de l’autre dans un miroir, elles sont néanmoins bien distinctes, à la manière de nos mains gauche et droite que l’on ne peut pas superposer. C’est ce qu’on appelle la chiralité (de χείρ, la « main », en grec). Pourtant, dans la plupart des cas, un seul des deux énantiomères existe dans la nature, sans qu’on en sache encore clairement la raison. Des pistes très sérieuses pour résoudre ce problème de l’homochiralité de la nature existent, mais proposent uniquement de très légers excès d’une forme sur l’autre. Reste le sous-problème de l’amplification de la chiralité, que l’on peut présenter schématiquement comme cela : comment passer d’un rapport de 50,0001 /49,9999 entre les deux énantiomères à un rapport 99,9999 /0,00001 ?

Dans un article paru dans Nature Chemistry, des chimistes ont montré que des surfaces achirales (c’est-à-dire qu’elles sont superposables à leur image dans un miroir) peuvent servir d’amplificateur de chiralité. En clair, ils ont exposé une surface de cuivre à un mélange gazeux d’acide L-aspartique et d’acide D-aspartique (les deux énantiomères de … l’acide aspartique). Lorsque le mélange gazeux était de 50 % pour les deux formes, cette proportion ce retrouvait de façon identique adsorbée sur le cuivre. Mais pour un mélange gazeux 2 / 1, ils ont obtenu une proportion de 16 / 1 adsorbée.

Les modélisations réalisées montrent que l’élément déterminant dans cette amplification réside en la formation de clusters homochiraux d’une dizaine de molécule d’acide aspartique à la surface du cuivre (clusters = regroupement de quelques unités de molécules), c’est-à-dire des clusters qui ne contiennent qu’une seule des deux formes énantiomères possible.

« Adsorption-induced auto-amplification of enantiomeric excess on an achiral surface » Yongju Yun and Andrew J. Gellman, Nature Chemistry 2015

[Flash Info Chimie] #42 Détecter la grippe avec un lecteur de glycémie

Je ne sais pas si vous vous souvenez, mais lors de la pandémie de grippe H1N1, la confirmation des cas était réalisée par des techniques chères et sophistiquées, et prenait du temps. En raison du matériel nécessaire, les méthodes fiables de détection de ces virus ne sont toujours pas accessibles aux médecins de famille et dans les zones peu médicalisées.

Des chercheurs d’Atlanta ont donc inventé un système biochimique simple permettant d’utiliser un lecteur de glycémie (vous savez, ce sont les machines d’une soixantaine d’euros, utilisés par les personnes diabétiques pour contrôler leur taux de sucre dans le sang) pour détecter la présence de grippe dans un échantillon de sécrétion nasale.

Grippe

Il s’agit simplement d’une molécule de type sucre complexe, appelé SG1 qui va être coupé en deux par les neuraminidases (vous savez, le fameux « N » dans H1N1 ou H1N3…) des virus de la grippe. Et se faisant, SG1 va relarguer du glucose, dont la quantité pourra être mesuré par le lecteur de glycémie.

Grippe2

Cette méthodologie, testée sur 19 souches différentes, permet d’obtenir un diagnostic fiable en moins d’une heure, pour un coût dérisoire. De quoi révolutionner le suivi des épidémies et pandémies de grippe.

« Electrochemical Assay to Detect Influenza Viruses and Measure Drug Susceptibility«  X. Zhang et al. Angew. Chem. Int. Ed. 2015, 54, 5929–5932.

 

[Flash Info Chimie] #41 chimie prébiotique : une origine commune à tous les composés du vivant ?

Il ne se passe pas un mois sans des nouvelles du côté de la chimie prébiotique… A croire que la mission Rosetta, dont un des objectifs est l’analyse chimique de la comète 67-P qui pourrait receler des composés prébiotiques, agit comme un catalyseur puissant dans ce domaine de recherche.

En particulier, une question revient de façon récurrente : de quoi étaient composés les premiers êtres vivants, ou, du moins, les premiers systèmes chimiques complexes capable de se répliquer ? L’idée qui est assez admise, consiste à penser que l’ARN a toutes les qualités pour remplir le rôle de support du code génétique (à la place de l’ADN actuel), de catalyseur et de machinerie chimique (à la place des protéines actuelles), ainsi, même, que de composé de base pour les membranes cellulaires ou intracellulaires (à la place des lipides actuels). Cependant, la fragilité des nucléotides à ARN est pointée du doigt comme étant une sérieuse épine dans le pied des partisans -très nombreux- d’un monde à ARN…(1)

Pour John D. Sutherland et son équipe, de l’Université de Cambridge, il est tout à fait plausible/possible/probable que dès la constitution des premières briques du vivant -cette fameuse « soupe primordiale »-, l’ensemble des molécules du vivant tel que nous le connaissons soit apparu. Cela permettrait de lever les objections récurrentes au monde à ARN (comme du monde à protéine, autre hypothèse souvent évoquée) Dans leur article, paru dans Nature Chemistry, ils montrent comment, à partir simplement de l’acide cyanhydrique (HCN), il est possible d’obtenir de nombreux acides aminés, des nucléotides, des lipides, en utilisant seulement de l’eau, du sulfure d’hydrogène, des ions phosphates, et des ions cuivres et de l’acétylène.

A partir du composé 11, l'acide cyanhydrique, on obtient... Tout le reste (source : ref (2))

A partir du composé 11, l’acide cyanhydrique, on obtient… Tout le reste (source : ref (2))

On pourrait considérer que l’hypothèse de départ (présence d’acide cyanhydrique, de sulfure d’hydrogène, de cuivre, de phosphate, d’acétylène) est un peu tirée par les cheveux. Ce serait le cas, si on imaginait que tout se produisait en même temps, au même endroit. Il faut plutôt considérer, d’après les auteurs, de multiples zones de synthèse, chacune avec leurs spécificités (présence d’acétylène, ou de phosphate, ou de sulfure d’hydrogène, etc…), qui conduiraient à la production de la grande diversité de composés, nécessaire à l’émergence d’une forme de vie qui utiliserait déjà l’ensemble des grandes familles de composés biochimiques…

(1) Hypothèse du monde à ARN : en anglais sur Wikipédia (ou en français)

(2) « Common origins of RNA, protein and lipid precursors in a cyanosulfidic protometabolism » B.H. Patel et al., Nature Chemistry 2015, 7, 301-307

[Flash Info Chimie] #40 Oubliez le viagra, et passez à l’optogénétique pour bander !

Hum. Je ne pensais pas que les Flash Info Chimie me mèneraient sur ce terrain… Mais puisqu’il s’agit d’une publication dans le journal Angewandte Chemie, une des principales références de la littérature scientifique en chimie, je me dois de vous parler de corps caverneux, de pénis, et d’érection. Attention, une ou deux images de pénis de rat seront susceptibles de choquer les plus jeunes d’entre vous (Faut pas trop s’inquiéter non plus, hein, c’est pas très impressionnant, même en érection !)

Comme un grand nombre d’entre vous le savent déjà, le mal de ce siècle, après le paludisme, le sida, la tuberculose multi-résistante, les cancers, la dengue, la rougeole, Ebola, les maladies cardiovasculaires, le mal de dos, les allergies, les punaises de lit et les pieds qui puent, consiste en… Les troubles de l’érection. Parce que vous êtes vieux, trop réservés, trop stressés, qu’on vous a retiré la prostate, etc… vous ne pouvez plus bander autant, et aussi bien que vous (ou votre/vos partenaires) le souhaitez. La solution actuelle ? la petite pilule bleue !!

Le Viagra : la pilule bleue à 2 milliards de bénéfice (et aux 20 milliards de spam) !

220px-Viagra_in_PackLe Viagra, qui a rapporté près de 2 milliards d’euros à Pfizer avant de tomber dans le domaine public, permet de provoquer une érection quelques dizaines de minutes après sa prise (et de lutter contre l’hypertension artérielle, mais ça, c’est une autre histoire).

Pour comprendre son mode d’action, il faut se faire une idée des mécanismes biochimiques qui provoquent l’érection. Vous allez voir, c’est tout simple !

Deux médiateurs sont particulièrement critiques dans l’induction de l’érection masculine. Le premier, le monoxyde d’azote NO, est libéré directement ou indirectement par les terminaisons neuronales (en bleu sur le schéma), pénètre dans les cellules musculaires, et permettent l’activation d’une enzyme, la « Guanylate Cyclase » (GC, en bas à gauche de la cellule musculaire sur le schéma). Cette enzyme transforme le GTP (guanosine triphosphate) en GMPc (guanosine monophosphate cyclique), qui est LE responsable du relâchement des muscles lisses des artères péniennes, et ainsi de l’engorgement de sang dans les corps caverneux, et donc, de l’érection (Sources : wikipédia, et l’article).

Le Viagra (Sildénafil, de sa dénomination internationale) est un inhibiteur de la PDES, l’enzyme responsable de l’élimination du GMPc. Il permet donc de maintenir des concentrations élevées en cette espèce chimique, et ainsi de provoquer un afflux sanguin conséquent, et durable. Mais le problème, c’est qu’il en faut, au départ, du GMPc ! Autrement dit, le Viagra et les autres inhibiteurs de la PDES renforcent et prolongent une érection existante… Si la chaîne de synthèse du GMPc, depuis la libération de NO, jusqu’à la guanylate cyclase est défaillante, ces médicaments sont inefficaces. De plus, ils sont incompatibles avec la prise de certains autres principes actifs, avec l’existence de certains troubles cardiaques ou hépatiques…

 Oubliez le viagra, vive EROS le bien-nommé !

Le cahier des charges d’un bon stimulateur d’érection est donc le suivant :

– provocation d’une érection même si l’ensemble de la chaîne est défaillante (à condition d’avoir un pénis en état de fonctionnement tout de même, sinon, demandez la solution à Taupo, du blog SSAFT, il m’en a suggéré une sur Twitter l’autre jour)

– provocation d’une érection sur demande, contrôlée dans le temps

– Pas de contre-indication, pas ou peu d’effets secondaires

C’est là qu’une équipe hélvético-française a eu l’idée d’inventer le stimulateur EROS. Oui, EROS pour ERectile Optogenetic Stimulator.

Le principe de fonctionnement est très simple : il s’agit ni plus ni moins d’un gène modifié de guanylate cyclase, qui va permettre la fabrication par les cellules musculaires du pénis de GMPc, et donc l’érection. Et pour contrôler cette fabrication, la guanylate cyclase artificielle est commandée par de la lumière bleue : sous lumière bleue : la GMPc est produit, et donc érection. Sans lumière : pas de GMPc.

C’est bien ici de la thérapie génique, pour utiliser les gros mots : on injecte localement (AIE !!! ) le gène artificiel, qui rétablit une fonction défaillante. L’avantage, c’est qu’il n’y a pas les même contre-indications qu’avec les médicaments : les modifications apportées sont uniquement locales, la GMPc agit dans les cellules musculaires qui contiennent EROS, et les effets secondaires, cardiaques notamment, n’existent donc pas. Et de plus, en court-circuitant l’ensemble de la chaîne du mécanisme de l’érection, EROS permettrait aux patients aux défaillances graves de retrouver toutes leurs capacités…

Enfin, et c’est là un avantage indéniable, tant qu’EROS est exprimé par les cellules musculaires des artères pénniennes, il n’y a pas de nécessité de nouvelles prises (par injection dans le pénis, je le rappelle. RE-AIE !). Alors que le Viagra doit etre pris à chaque fois, et au maximum une fois par jour, EROS est actif pendant… Longtemps ! (j’avoue ne pas avoir trouvé dans la publication la durée de fonctionnement. Chez les rats, les tests sont concluants pour des durées au moins égales à 100 heures… A suivre…)

Bon, ne nous emballons pas trop non plus. Pour l’instant, EROS n’a été testé que sur des rats… Mais avec succès ! Et pour ne pas vous décevoir, voici ces pauvres (ou pas) spécimens lors des expérimentations…

Un rat, dans sa cage rétro-éclairée

Un rat, dans sa cage rétro-éclairée

Et la preuve, en image de l’efficacité d’EROS …

ratEROS2

e : témoin, sans lumière; f et g : rats en érection induite par la lumière bleue

Personnellement, je me pose tout de même quelques questions. Cette stimulation lumineuse est bien sympa, mais si un simple dispositif portable suffisamment puissant permet de provoquer une érection efficace et durable, qu’en est-il de la lumière solaire à la plage, si le maillot est trop transparent à la lumière bleue ? D’autre part, il faudrait vérifier qu’il n’est pas nécessaire de continuer à s’éclairer le pénis pendant le rapport sexuel, sous peine de quelques soucis techniques (il semblerait cependant que la stimulation lumineuse initiale suffise…)

Enfin, dernière précision : les mécanismes d’érection chez l’homme et chez la femme étant très similaires, je ne vois aucune raison de ne pas développer EROS pour l’ensemble des partenaires…

« A Synthetic Erectile Optogenetic Stimulator Enabling Blue-LightInducible Penile Erection » T. Kim et al. Angewandte Chem. Int Ed. 2015Early View