Hum. Je ne pensais pas que les Flash Info Chimie me mèneraient sur ce terrain… Mais puisqu’il s’agit d’une publication dans le journal Angewandte Chemie, une des principales références de la littérature scientifique en chimie, je me dois de vous parler de corps caverneux, de pénis, et d’érection. Attention, une ou deux images de pénis de rat seront susceptibles de choquer les plus jeunes d’entre vous (Faut pas trop s’inquiéter non plus, hein, c’est pas très impressionnant, même en érection !)
Comme un grand nombre d’entre vous le savent déjà, le mal de ce siècle, après le paludisme, le sida, la tuberculose multi-résistante, les cancers, la dengue, la rougeole, Ebola, les maladies cardiovasculaires, le mal de dos, les allergies, les punaises de lit et les pieds qui puent, consiste en… Les troubles de l’érection. Parce que vous êtes vieux, trop réservés, trop stressés, qu’on vous a retiré la prostate, etc… vous ne pouvez plus bander autant, et aussi bien que vous (ou votre/vos partenaires) le souhaitez. La solution actuelle ? la petite pilule bleue !!
Le Viagra : la pilule bleue à 2 milliards de bénéfice (et aux 20 milliards de spam) !
Le Viagra, qui a rapporté près de 2 milliards d’euros à Pfizer avant de tomber dans le domaine public, permet de provoquer une érection quelques dizaines de minutes après sa prise (et de lutter contre l’hypertension artérielle, mais ça, c’est une autre histoire).
Pour comprendre son mode d’action, il faut se faire une idée des mécanismes biochimiques qui provoquent l’érection. Vous allez voir, c’est tout simple !
Deux médiateurs sont particulièrement critiques dans l’induction de l’érection masculine. Le premier, le monoxyde d’azote NO, est libéré directement ou indirectement par les terminaisons neuronales (en bleu sur le schéma), pénètre dans les cellules musculaires, et permettent l’activation d’une enzyme, la « Guanylate Cyclase » (GC, en bas à gauche de la cellule musculaire sur le schéma). Cette enzyme transforme le GTP (guanosine triphosphate) en GMPc (guanosine monophosphate cyclique), qui est LE responsable du relâchement des muscles lisses des artères péniennes, et ainsi de l’engorgement de sang dans les corps caverneux, et donc, de l’érection (Sources : wikipédia, et l’article).
Le Viagra (Sildénafil, de sa dénomination internationale) est un inhibiteur de la PDES, l’enzyme responsable de l’élimination du GMPc. Il permet donc de maintenir des concentrations élevées en cette espèce chimique, et ainsi de provoquer un afflux sanguin conséquent, et durable. Mais le problème, c’est qu’il en faut, au départ, du GMPc ! Autrement dit, le Viagra et les autres inhibiteurs de la PDES renforcent et prolongent une érection existante… Si la chaîne de synthèse du GMPc, depuis la libération de NO, jusqu’à la guanylate cyclase est défaillante, ces médicaments sont inefficaces. De plus, ils sont incompatibles avec la prise de certains autres principes actifs, avec l’existence de certains troubles cardiaques ou hépatiques…
Oubliez le viagra, vive EROS le bien-nommé !
Le cahier des charges d’un bon stimulateur d’érection est donc le suivant :
– provocation d’une érection même si l’ensemble de la chaîne est défaillante (à condition d’avoir un pénis en état de fonctionnement tout de même, sinon, demandez la solution à Taupo, du blog SSAFT, il m’en a suggéré une sur Twitter l’autre jour)
– provocation d’une érection sur demande, contrôlée dans le temps
– Pas de contre-indication, pas ou peu d’effets secondaires
C’est là qu’une équipe hélvético-française a eu l’idée d’inventer le stimulateur EROS. Oui, EROS pour ERectile Optogenetic Stimulator.
Le principe de fonctionnement est très simple : il s’agit ni plus ni moins d’un gène modifié de guanylate cyclase, qui va permettre la fabrication par les cellules musculaires du pénis de GMPc, et donc l’érection. Et pour contrôler cette fabrication, la guanylate cyclase artificielle est commandée par de la lumière bleue : sous lumière bleue : la GMPc est produit, et donc érection. Sans lumière : pas de GMPc.
C’est bien ici de la thérapie génique, pour utiliser les gros mots : on injecte localement (AIE !!! ) le gène artificiel, qui rétablit une fonction défaillante. L’avantage, c’est qu’il n’y a pas les même contre-indications qu’avec les médicaments : les modifications apportées sont uniquement locales, la GMPc agit dans les cellules musculaires qui contiennent EROS, et les effets secondaires, cardiaques notamment, n’existent donc pas. Et de plus, en court-circuitant l’ensemble de la chaîne du mécanisme de l’érection, EROS permettrait aux patients aux défaillances graves de retrouver toutes leurs capacités…
Enfin, et c’est là un avantage indéniable, tant qu’EROS est exprimé par les cellules musculaires des artères pénniennes, il n’y a pas de nécessité de nouvelles prises (par injection dans le pénis, je le rappelle. RE-AIE !). Alors que le Viagra doit etre pris à chaque fois, et au maximum une fois par jour, EROS est actif pendant… Longtemps ! (j’avoue ne pas avoir trouvé dans la publication la durée de fonctionnement. Chez les rats, les tests sont concluants pour des durées au moins égales à 100 heures… A suivre…)
Bon, ne nous emballons pas trop non plus. Pour l’instant, EROS n’a été testé que sur des rats… Mais avec succès ! Et pour ne pas vous décevoir, voici ces pauvres (ou pas) spécimens lors des expérimentations…

Un rat, dans sa cage rétro-éclairée
Et la preuve, en image de l’efficacité d’EROS …

e : témoin, sans lumière; f et g : rats en érection induite par la lumière bleue
Personnellement, je me pose tout de même quelques questions. Cette stimulation lumineuse est bien sympa, mais si un simple dispositif portable suffisamment puissant permet de provoquer une érection efficace et durable, qu’en est-il de la lumière solaire à la plage, si le maillot est trop transparent à la lumière bleue ? D’autre part, il faudrait vérifier qu’il n’est pas nécessaire de continuer à s’éclairer le pénis pendant le rapport sexuel, sous peine de quelques soucis techniques (il semblerait cependant que la stimulation lumineuse initiale suffise…)
Enfin, dernière précision : les mécanismes d’érection chez l’homme et chez la femme étant très similaires, je ne vois aucune raison de ne pas développer EROS pour l’ensemble des partenaires…
« A Synthetic Erectile Optogenetic Stimulator Enabling Blue-LightInducible Penile Erection » T. Kim et al. Angewandte Chem. Int Ed. 2015, Early View