Il y a quelques semaines, j’avais rédigé un billet intitulé : « Mammographie : dépistons, piège à c***« , en m’appuyant sur une étude réalisée sur 90 000 femmes au Canada, publiée dans le British Medical Journal, qui montrait que la mammographie, en plus d’être un dépistage coûteux, provoquait beaucoup de faux positifs, sans améliorer la mortalité par cancer du sein, par rapport à un dépistage par un simple examen physique.(1)
Une revue de la littérature est parue le 2 avril 2014 dans le Journal of the American Medical Association sur le rapport bénéfice/risque du dépistage par mammographie du dépistage du cancer du sein (2). Se basant sur les articles disponibles depuis 1960 (concernant les patients aux USA, au Canada, et en Europe), les recommandations de pratiques aux USA, les auteurs ont tenté de tirer des conclusions permettant une réévaluation correcte des pratiques. Rappelons qu’en France, le dépistage par mammographie est recommandé à partir de 50 ans, une fois tout les deux ans.
Sans entrer, à nouveau, dans les détails, cette revue met en avant quelques points :
- Le risque cumulé de sur-diagnostic par mammographie sur 10 ans (pour des mammographies annuelles) est de 61 % (On peut imaginer qu’il est moindre en France, où il y a deux fois moins de mammographie sur la même periode).
- Le bénéfice de la mammographie (si on exclut le problème de surdiagnostic) existe, mais il est modeste.
- Ce bénéfice est faible pour les femmes « jeunes », dont le risque de cancer du sein est plus faible et dont le risque de faux-positifs est plus élevé. Ce bénéfice augmente avec l’âge.
Les auteurs de cette revue mettent en avant aussi la question du dialogue entre le praticien et la patiente. Elles proposent ainsi des « points de discussion pour une prise de décision éclairée sur le dépistage par mammographie » (p 1332). Il serait urgent de les traduire, et de les imposer aux médecins qui pratiquent ces mammographie :
Ce guide de discussion est, pour moi, d’une importance fondamentale. L’absence d’informations fiables qui permettent à la patiente de prendre des décisions éclairées est, pour moi, scandaleuse, et fait obstacle à une liberté fondamentale qui est pourtant très clairement énoncée sur la charte des patients hospitalisés (Troisième point, page 7). Il est donc nécessaire, à mon avis, d’imposer dans les pratiques médicales un dialogue rationnel, où les arguments médicaux sont basés sur des preuves scientifiques, et tout spécialement en gynécologie, où l’intimité, et même la sexualité de la patiente est en jeu. La décision de la réalisation d’un examen doit revenir à la patiente, et à elle seule.
Je souhaite terminer ce billet sur un coup de gueule face au traitement médiatique français de cet article scientifique. Encore une fois, une dépêche de l’AFP a été reprise par de nombreux journaux, dont les auteurs n’ont manifestement pas compris de quoi il s’agissait. Il en résulte des articles dont le fond est incompréhensible. [Lisez celui là et celui là, et dites moi si vous comprenez quelque chose ! ] Il apparaît,par exemple, dans ces articles que le dépistage par mammographie est remis en cause ET qu’il permet de dépister 19 % des cancers du sein, ce qui paraît totalement contradictoire. Les journalistes qui ont repris cette dépêche, comme ceux de l’AFP qui l’ont écrite, manquent cruellement de recul, voire de sérieux. Cela me paraît inimaginable que des professionnels fassent preuve d’aussi peu de rigueur. Il existe d’excellents journalistes scientifiques francophones, qui ne demandent qu’à travailler régulièrement pour les grands médias.
[Pour éclairer ce fameux 19 %, et la raison pour laquelle il ne justifie pas l’intérêt du dépistage par mammographie, il faut se poser la question de l’intérêt du dépistage par mammographie VS dépistage par examen physique classique, ce dont j’ai parlé dans le billet cité plus haut]
(1) « Twenty-five year follow-up for breast cancer incidence and mortality of the Canadian National Breast Screening Study : randomised screening trial », A.B. Miller et al., BMJ 2014, 348
(2) « A systematic Assessment of Benefits and Risks to Guide Breast Cancer Screening Decisions » L.E. Pace, N.L. Keating JAMA 2014, 311(13), p 1327
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